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Critiques de livres


Anita VAN BELLE
Le Secret.
Duculot ("Travelling"n° 98)
1991
137 p.

Jeune mais pas idiot

LA LITTÉRATURE POUR adolescents est mal connue du grand public : les adultes l'ignorent le plus souvent et laissent aux enseignants le soin de guider les lectures de leurs enfants. Il y aurait pourtant intérêt à y aller voir de plus près. Plusieurs éditeurs se consacrent en effet avec un talent tout particulier à cette-tranche d'âge réputée difficile. Ainsi Duculot. dont la collection "Travelling" s'adresse au public des 12-18 ans. Au catalogue, une centaine de titres ren­contrent la faveur des jeunes en leur ouvrant des perspectives de lectures très diverses, depuis le roman psychologique jusqu'au roman policier en passant par le fantastique, la science-fiction et la nouvelle. La qualité générale des textes, l'éclectisme des sujets, la sobriété de la présentation (il s'agit de "vrais" livres) ont fait le succès de cette collection qui compte déjà quelques "classiques" (dont le fameux Cri du hibou. de France Bastia. traduit en plusieurs langues). Parmi les auteurs, tous contem­porains ou presque, beaucoup de Belges, venus parfois d'horizons bien différents (Roger Leloup. Luc Dellisse ou Nadine Monfils. pour n'en citer que quelques-uns). Un des tout derniers titres parus dans cette-collection est l’œuvre d'Anita Van Belle, jeune romancière, dramaturge et scénariste d'origine anversoise à qui l'on doit déjà le roman Place de Londres, en collaboration avec Delperdange (éd. Le Cri / Vander), une pièce, Nuit d'amour (éd. Actes Sud Papiers), plusieurs scénarios de courts mé­trages et celui d'un long métrage. Pardon. Cupidon qui sortira en 1992. Avec Le Secret, elle a construit, sur le thème de l'amitié et de la quête d'identité, un court roman d'une justesse remarquable. A travers les yeux et la conscience encore floue du jeune Sandro. l'univers de l'en­fance se désagrège petit à petit. Sandro découvre en lui une part d'ombre qu'il dé­chiffrera au fur et à mesure d'une doulou­reuse confrontation avec les autres, pro­cessus qui l'amènera finalement face à lui-même. Le grand mérite de l'auteur est d'avoir su traiter le sujet délicat de l'homo­sexualité avec nuance et doigté : toute la complexité psychologique est rendue par une écriture d'une extrême simplicité, où la suggestion et l'atmosphère prennent le pas sur l'analyse proprement dite. Aucune pédanterie donc mais un texte qui. sans négliger l'aspect ludique (le fil narratif est une aventure quasi policière), plonge le lecteur au cœur d'un personnage dont il ne pourra percer l'énigme qu'en faisant appel à toutes ses ressources : sensibilité, imagination, réflexion. Voilà une belle initiation au plaisir et à l'intelligence de la lecture. Si bien des romans pour adultes qu'on nous jette en pâture chaque année nous tombent des mains dès les premières pages, c'est qu'on nous y prend trop sou­vent pour des sots ou des fats. N'y aurait-il pas leçon à tirer de ces écrivains qui. parce qu'ils s'adressent à un public encore vierge, font preuve de rigueur et de respect du lecteur ?

Dominique CRAHAY