pdl

Critiques de livres


Patrick VIRELLES
Les grilles du Parc Monceau
Verticales
1998
240 p.

Enorme comme

« Joie énorme comme les couilles d'Her­cule » (papillon surréaliste, 1925)

N’en déplaise à l'excellent Patrick Virelles, dans mon « bête » Petit Larousse illustré, j'ai, à la place où il se devait de figurer, trouvé, sans avoir à en déplorer l'absence, le mot « verbicruciste ». Que les créateurs de grilles de mots croisés (dont je suis : abonnez-vous (600 francs) à C4, ça nous ferait plaisir. Merci.) aient donc tous leurs apaisements : leur hobby, voire leur boulot, est officiellement reconnu par les lexicographes. Ceci dit, si je tenais l'idiot qui, parmi eux, s'est cru obligé d'accepter l'ignoble verbe « mazouter » pour désigner la catastrophique action des tan­kers pollueurs, je lui demanderais, et sans tendresse aucune, s'il se paie notre fioul ! Mais venons-en au fait : si vous désirez sa­voir tout et le reste sur l'art consommé de croiser les mots, depuis ses origines jusqu'à ses plus plus extrêmes sophistications, plon­gez-vous avec délice dans la lecture du se­cond roman de l'auteur, Les grilles du Parc Monceau.

Son héros, Hercule Rochat, un homme sé­duisant, à l'esprit aussi affûté que sont altières ses somptueuses bacchantes, fait le bonheur des cruciverbistes, en leur concoc­tant des problèmes aussi retors qu'émoustillants. D'entrée de jeu, nous le découvrons dans son quotidien, au demeurant empreint d'une douceâtre morosité, qu'il partage avec le seul Archibald, un basset artésien-nor­mand, dont tant le caractère que la dimen­sion s'avèrent mythologiques. Au moindre moment, même pendant la promenade hy­giénique de son compagnon, désireux d'exonérer cérémonieusement son bol fécal, il sort son petit carnet pour y noter l'une ou l'autre définition ingénieuse (ainsi « Point de vue » pour faire découvrir, en 6 lettres, CÉCITÉ), qu'il retranscrira, de retour en son appartement cossu, sur une fiche, dû­ment classée dans un silo de malignités. Que son cador racé ne puisse lever la patte dans « leur » parc Monceau sans que son maître ne soit gratifié d'un procès scanda­lise ce dernier, qui s'insurge : « Qu'on frappe plutôt d'amende ces vieillardes à l'œil ourlé de chassie et au menton piqué de plus de poils qu'un cul d'artichaut qui viennent, des l'ou­verture des grilles, seriner des "pitis, pitis, c'est la boulange, pitis, pitis, venez mes anges" en singeant le geste auguste du semeur pour émietter du pain rassis à tout-va. Cette curée gonfle la panse des pigeons et la fiente des pi­geons brûle nos statues comme de petite vérole. Si je pouvais vous conduire jusqu'au monu­ment de Chopin, où on voit celui-ci effleurer son piano d'une main nonchalante tout en contemplant d'un air affligé la grâce en tenue de clandé effondrée à ses pieds, vous verriez qu'on dirait un crétin poitrinaire encombré d'une toxico succombant à une overdose. Vous me direz que les pigeons ne sont pas seuls res­ponsables de ce couac, et je vous accorde que le sculpteur qui a commis ce prétentieux colombin est le premier pendable en l'affaire. Mais nos pigeons n'ont pas été de reste ! Itou aux quatre coins du parc sur les statues de Musset, Gounod et Maupassant. Ravagés, les pauvres ! Criblés, taraudés, excavés ! » (Cette tirade, honnissant l'odieux pigeon, « sédentaire, morgueur, chieur, caqueteur, salopiot comme pas deux », retranscrite ici pour vous offrir un exemple des multiples éclats de rire qui vous saisiront tout au long de cet aimable roman.) Dès Peau de vélin, l'auteur nous avait fait comprendre qu'il nous faudrait désormais compter avec son humour et son « style » : avec Virelles, on s'amuse et on ap­prend !

Si les romans d'amour (fou) ont l'heur de vous brancher, dégustez celui-ci comme un Château-Yquem. Et que Sidonie Verdier, critique littéraire acidulée et « colombe » d'Hercule, ait quitté le nid douillet après quelque vingt ans de bonheur sans nuage, vous en apprendrez les raisons en arrivant au terme de cette histoire, où cohabitent en harmonie délicatesse et facéties, miel et sel. Une carte où le tendre vit en symbiose avec le spirituel.

André Stas