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Critiques de livres


Gilbert MÉRAGUE
Les hostos du cœur
Quorum
Le Point du Jour
184 p.

D'humour encore

Autre registre, autre ton avec Les hostos du cœur de Gilbert Mérague, qui remet en scène le petit monde du Saut périlleux du grain de sable : Libre­ville, Pied-Blanc, l'avenue Youssef. Et sur­tout le commissaire Gilé qui assiste, du côté des otages, à l'occupation violente du 15e étage du C.H.U., la « chirure », par la fa­mille des Frèresjacques. Motif du coup de force : ranimer le (cadavre du) pépé qui de­vait emmener la smala en Russie pour y re­vendiquer l'héritage des cousins Jackov... Hébétude, idiotie profonde, handicap phy­sique, animalité, voire schizophrénie et au­tisme : autant de tares distribuées aux membres de la charmante famille, et qui provoqueront autant de péripéties, d'apar­tés et de quiproquos.

Voilà qui permet au « style Mérague » d'ex­ploser dans les dialogues omniprésents : charabia (— C'est qui ? « Esch-y-chi ? », ça veut dire quoi ?), points de suspension (C'est tout ce que produit Ambroise. Il avale sa sa­live douloureusement], phrases incomplètes (Nom de ! Hélène, vous voyez pas que...}, confusion des styles (Elle cause des vête­ments qu'elle va lui acheter, à ta Micha...), jeux de mots (— // vient de piquer in infar... A qui ?), rafales hachées des conversa­tions téléphoniques (Leur château à Mos­cou ! / Les policiers ont retrouvé des seaux d'excréments...!?!? /...des boîtes de conserve et ils ont retourné la décharge / Le château à Moscou/Rien. Pas de magot...), etc. L'incompréhension totale qui, dès le départ, règne entre les personnages envahit toute forme de communication : les messages ra­dios sont imprécis, les porte-voix hurlent des mots inaudibles, l'ampli de Maria, la handicapée, n'émet que des gargouillis, la fillette a des manières de sourde-muette, la même confond rêve et réalité et René le poète intitule son dernier recueil... Point d'interrogation !

Mais les Frèresjacques ne sont pas les seuls désaxés de la fable : l'intérêt que Catalmont et Aumont, les médecins, portent à Muriel, l'infirmière, interfère dans leurs diagnostics et le commissaire Gilé a avec sa « rousse » des conversations téléphoniques des plus pénibles.

Le discours efficace passe par l'onomatopée, le cliquetis, le hurlement et l'échauffourée. Mais dès que l'action prend le pas, Mérague y va de ses salmigondis (s'infiltrer comme un ver dans le fruit et y mettre le feu...} ou des ses métaphores (...elle parle du bout des ongles) pour mieux brouiller les monitorings. Le lecteur serait méritant de poursuivre la lecture jusqu'au chaos final, s'il n'y avait dans le récit toutes les ambiguïtés de l'hu­mour noir. Décor macabre par excellence, l'hôpital et le monde qui le compose génè­rent des doses massives de désespoir, de ni­hilisme, de souffrance qui écrasent l'humain en l'invitant à rire, en même temps, du néant et de la réalité absurde. Le talent de Mérague consiste à nous faire regarder, entre le rire et les pleurs, les faiblesses hu­maines sans ciller. Mais dans la confusion et la frénésie du récit, le lecteur doit parfois s'isoler pour rester et goûter une joie qui n'est pas le bonheur.

Danny Hesse