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Critiques de livres


Marie-Claire BLAIMONT
Les lits de plume
Cuesmes
Editions du Cerisier
coll. Griottes
2003
134 p.

Voyages autour du lit

Dix ans après le roman Black Lola, Marie-Claire Blaimont publie Les Lits de plume, un recueil de nou­velles construites, comme il se doit, autour du motif central du lit. Rarement abordé pour lui-même en littérature, le lit est ce­pendant un objet avec lequel l'écrivain s'ex­pose rapidement au risque des truismes. Il passera difficilement à côté, en effet, d'une naissance, d'une agonie et de quelques amours ou copulations plus ou moins in­tenses. Pour sa part, Marie-Claire Blaimont évite en grande partie le piège de la banalité en variant les formes, points de vue et tona­lités de ses récits. Plusieurs nouvelles font du lit le révélateur d'un mal-être individuel ou social. Dans Elle avait mal, le lit s'avère d'abord le lieu où souffrent les femmes. Mais, des premières règles à la mort, du viol à la lassitude de la mère de famille, les souf­frances sont extrêmement diverses, et l'auteure leur accorde à chacune, en sous-titre, une lumière propre, telle que « lumière blanche » pour l'enfantement ou « éclairage tamisé » pour la perte de la virginité. Dans Squat, un clochard, jaloux de son indépen­dance, renonce à rejoindre un squat « collec­tif» pour gagner une maison désaffectée : « (...) bon dieu que ce matelas était suintant de crasse, il en sentait l'humidité ronger ce qu'il lui restait d’os, et la maigre couverture ne lui tenait pas chaud... » Si les nouvelles Eisa, entre chiens et loups et Quelques jours avec Louise décrivent une trajectoire sociale avec sobriété, d'autres ont recours à l'humour. Ainsi, L'enfance de l'art montre-t-elle à quoi tient une vocation de « peintre qui monte » et à quelle source insoupçonnée s'est puisé son goût pour « l'an brut». Dans Chez Madame, deux ouvriers livrent un lit à « trois cent mille balles » chez des parvenus : « (...) j'ai senti une colère sourde monter en moi, j'étais là, les muscles tendus, la gorge serrée comme avant un cri, dans cette cuisine qui ne sentait pas l'eau de vaisselle ni même le café fraîchement passé, ces trente billets de dix mille étalés sur la table de marbre blanc, et nous, avec nos heures en noir, à fermer notre gueule devant cette ar­rogance, et la boniche qui baissait la tête, puis s'effaçait sur un geste... » En guise de souve­nir et de menue vengeance à l'encontre de « Madame », l'un des livreurs s'en ira en em­portant... « une petite culotte ». D'autres textes — mais ce ne sont pas les meilleurs — tiennent plutôt de la prose poétique, alors que la dernière nouvelle, Frédéric et le chêne, comporte un élément de fantastique, puisqu'un chêne devenu lit y est doué de pensée — et de parole pour qui sait l'en­tendre. Ces mémoires d'un lit sont assez beaux, même si le principe du lit qui parle peut sembler artificiel. De même, chaque nouvelle est précédée d'une sentence, qui est supposée en constituer l'emblème, comme, par exemple, « Le berceau est au lit ce que le conte est au roman » ou « Il la coucha sur un lit de feuilles, sur lesquelles il écrivait le plus beau des romans d'amour ». C'est pour le moins naïf et n'apporte rien à l'ensemble.

Laurent Robert