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Critiques de livres


Nicolas ANCION
Les ours n'ont pas de problème de parking
Le grand Miroir
Bruxelles
2001
200 p.

Une place au soleil

Le monde d'aujourd'hui devient, di­sent les spécialistes, de plus en plus complexe et le comprendre relève, chaque jour davantage, de la gageure. A bien y regarder pourtant, on constate que c'est plutôt la masse d'échanges, informa­tions et désinformations, qui s'est opacifiée et tend à faire écran devant les petites et les grandes choses de la vie. Cette masse s'avère un bon prétexte, une distraction voire une perversion, pour oublier ou négliger une nature humaine qui, elle, n'a pas beaucoup changé ces dernières décennies. Les joies et les peines se retrouvent pareillement à toutes les époques.

Nicolas Ancion a pris le parti de ne pas se laisser abuser par la beauté du monde ou la bonté de ses contemporains. Il sait toutefois qu'il y a des limites mais celles-ci concer­nent aussi bien la lucidité que les illusions et il écrit sans faire la morale et, surtout, sans perdre sa belle humeur. Ainsi, le titre de son dernier recueil de nouvelles, Les ours n'ont pas de problème de parking, a-t-il des allures de proposition cocasse, de jeu sur les mots d'un auteur qui aurait bien digéré, et depuis longtemps, l'esprit surréaliste. Il y a de cela, bien sûr, dans la surprenante étrangeté de ce constat qui fait d'abord sourire mais on s'aperçoit très vite que ce titre cache en fait deux autres sous-entendus : si les ours n'ont pas de problème de parking, c'est qu'ils en ont d'autres qui sont certai­nement plus graves pour leur survie et, a contrario, que ceux qui ont des problèmes de parking feraient bien de les relativiser et de se pencher sur des questions plus fonda­mentales.

Comment vit-on quand le simple hasard a fait qu'on porte le même nom qu'un grand criminel ? Quand cette seule raison pousse les amis à devenir distants, les voisins mé­chants. Quand on perd son travail, quand les enfants sont refusés à l'école et que la voiture a eu les vitres brisées. Quelle diabo­lisation s'opère autour de ce seul nom au point d'oublier tout le reste de la personne et de mener à une confusion totale ? Ancion montre la facilité avec laquelle le méca­nisme se met en place, sans raison appa­rente, gagne de proche en proche, s'emballe et finit par ne laisser sur le carreau que des victimes.

Comment regarde-t-on son entourage quand on est enfant dans un milieu où l'on s'étonne que certains aillent encore à l'école alors qu'ils ont l'âge d'aller pointer ? Que va-t-il se passer, le jour de la retraite venu, alors qu'on a décidé de partir au bout du monde et qu'on se retrouve pris de vertige au bord du trottoir, va-t-on seulement oser traverser la rue ? Le choix des sujets est ter­riblement anodin ; rien, de prime abord, qui semblerait mettre en péril l'avenir de la planète. Et effectivement, tout se passe dans la part la plus intime des personnages, dans leur manière de regarder, de réfléchir ou de subir les événements, dans leur façon de s'inventer constamment pour rester vivant. Mais chacun n'a qu'une vie et si elle bas­cule, le monde entier s'effondre à sa suite. Les grands événements peuvent condition­ner une existence mais ce sont les petites choses qui la façonnent au quotidien. Nicolas Ancion a souvent recours au monde de l'enfance. Il rappelle que cette enfance ne ressemble à un paradis que dans les fan­tasmes d'adultes. Il profite aussi subtile­ment de cette âge pendant lequel l'inconnu est vaste et l'extérieur terrorisant mais le re­gard frais et naïf pour imager une approche d'adultes qui, malgré leur couvert de sérieux, recèlent la même fragilité, se retrou­vent désemparés de la même manière et n'ont, tout compte fait, perdu que leur ca­pacité d'innocence. Enfin, il utilise aussi cette capacité des enfants à se raconter des histoires, à dialoguer avec des poupées dans un besoin de confidences ou de consolation pour montrer qu'en vieillissant, nous ne changeons pas, nous ne faisons qu'adopter d'autres manières de fabuler. Et lorsqu'il ra­conte une guerre entre les peluches, il trans­pose, entre la chambre et le grenier, ce que les journaux nous apportent tous les jours venant d'autres continents. Il n'y a pas de démonstration ni, je l'ai dit, de morale ; tout est laissé à l'appréciation du lecteur. Ancion a cette sensibilité ou cette capacité d'écoute qui le porte à sélec­tionner le sujet qui propose la meilleure ré­sonance et il est aussi à l'aise quand il ra­conte un braquage que quand il transcrit un monologue intérieur. L'écriture est efficace, non pas parce qu'elle a quelque chose à prouver mais parce que le texte est net, sans fioriture, et va droit à l'essentiel. Il n'y a que de l'humanité mise à nu, âpre et boule­versante, regardée avec compassion et consi­gnée avec humour.

Jack Keguenne