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Critiques de livres


Patrick VIRELLES
Les Pigeons de Notre-Dame
La Renaissance du Livre
2001
285 p.

Pigeons peu, mais pigeons bien

« Patrick Virelles aime les mots, il s'en délecte, et nous les donne à dévorer », annonce le prière d'insé­rer. On ne pourrait mieux dire. Les pigeons de Notre-Dame sont un livre pour les passionnés de langue verte, les dévoreurs de San Antonio, les amateurs de lexicographie. Ce n'est pas un hasard si le trio qui y tient le devant de la scène incarne trois variétés du français d'au­jourd'hui. Il y a là Fred, le Parigot bon teint, Sugar (de son vrai nom Aimable Latendresse), le Québécois « pur jus », et Marie, dite Pouchenelle, accorte et délurée fille des Marolles. Les deux premiers sont des voleurs à la tire patentés, la troisième est danseuse du ventre au Schéhérazade. Survient un attentat qui, en détruisant l'établissement où elle travaille, la jette à la rue dépourvue de ressources. A la fontaine Saint-Michel, où elle est venue shampouiner sa rousse chevelure, elle fait la rencontre des compères détrousseurs. Coup de foudre réciproque : nos Jules et Jim du bi­tume décident de faire cause et vie com­munes. Pouchenelle, qui a les idées aussi larges que le cœur, propose de passer une se­maine alternativement dans le lit de l'un et de l'autre. Côté turbin, elle leur servira de rabatteuse dans les tours de Notre-Dame, en agi­tant sous le nez des clients son « pétrousquin » rouge et ondoyant comme une muleta (les « pigeons de Notre-Dame », on l'aura compris, ne sont pas seulement ceux qui or­nent de leurs déjections les chefs-d'œuvre go­thiques, mais aussi ceux qui en escaladent les tortueux escaliers sans surveiller assez attenti­vement le contenu de leurs poches)... Ces activités illicites nous valent quelques-unes des pages les plus malicieuses du roman, comme celle où Patrick Virelles justifie leur utilité par les emplois qu'elles génèrent tant dans la fonction publique que dans le business de la sécurité. Au reste, le livre est truffé de di­gressions sur les sujets les plus variés : on y trouvera pêle-mêle le moyen d'obtenir le code d'une carte bancaire volée, une histoire de la Rolls Royce, la liste des meilleures bières belges, nombre de recettes gastronomiques, un échantillonnage quasi exhaustif de la langue verte, qu'elle soit parisienne, bruxel­loise ou québécoise, et même un aperçu des événements de mai 68, sous la forme de graf­fiti laissés au sous-sol d'un troquet du Quar­tier latin. Graffiti dont le romancier prend par ailleurs soin de nous préciser, dans une an­nexe intitulée « Rendons à César... », qu'ils ont bien existé en effet, non pas sur les murs des chiottes d'une taverne, mais sur ceux de la vénérable Sorbonne : et de citer l'ouvrage dans lequel il a puisé ses informations. C'est là l'un des aspects les plus étranges de ce livre : dans son souci d'être compris, l'auteur multiplie les exemples jusqu'aux limites du ca­talogue, agrémente ses dires de longues justifi­cations, voire de notes expliquant le sens de tel ou tel mot... Certes, ce souci didactique lui fait honneur, mais il faut bien dire aussi qu'il nous gâche un peu le plaisir. Comme si l'écrivain n'était pas libre de prendre son bien où il le trouve, sans pour autant en justifier l'origine ou la signification. Scrupule d'autant plus cocasse que les personnages mis en scène sont précisément des voleurs... Pas n'importe quels voleurs, il est vrai : des voleurs « d'hon­neur », de braves méchants garçons, qui n'hé­sitent pas à courir après un ivrogne pour lui rendre le portefeuille qu'il a oublié sur la table (ça serait pas de jeu...). L'auteur met tant de zèle à rendre ses personnages sympathiques, à gommer leurs côtés déplaisants — les faisant par exemple patronner, dans un quartier pa­kistanais de Katmandou, une école de fauche à l'usage des jeunes filles, censée soustraire celles-ci à la prostitution —, qu'il finit par leur ôter une bonne part de leur crédibilité. Telle est la rançon des mots, ces fougueux coursiers qui vous emportent où ils veulent dès qu'on leur lâche un peu la bride, et bien souvent vous ramènent à l'écurie sans que l'on s'en rende compte. Du Paris contempo­rain où l'auteur situe son action, on ne verra finalement que peu de chose. Les références à l'actualité ne sont guère qu'un trompe-l'œil : ce Paname-là est plus près de Maurice Chevalier que de Joey Starr, c'est Ménil-muche et non la Courneuve. Sans doute est-ce là aussi le charme de ce livre qui, avec ses voyous au grand cœur, sa verve indéniable et un solide appétit pour les plaisirs de la vie, séduira tous ceux qui aiment à se plonger dans un univers gentiment désuet, comme on se plonge dans ces films avec Belmondo où les valeurs ont un sens et les choses un ordre, même — surtout — pour ceux qui entendent se situer dans ses marges.

Daniel Arnaut