pdl

Critiques de livres


Christine VAN SCHOONBEEK
Les Portraits d'Ubu
Séguier
1997
169 p.

Hourra, cornes-au-cul, vive le père Ubu !

Les derniers mois de l'an passé furent émaillés par nombre de manifesta­tions réellement (ou apparemment le pataphysicien comprendra) festives, « dont le besoin se faisait généralement sen­tir ». Parmi elles, au Musée Rops (dans la capitale d'un pays qui n'existe pas encore), on savoura la somptueuse exposition « Jarry Ymagier » et, à la Maison du Spectacle-La Bellone (dans la capitale d'un pays qui se défait), son pendant « Ecce Ubu », double fiesta organisée par Christine Van Schoonbeek, fraîchement émoulue de l'ULB et zélée thuriféraire du Père Éthernel. Pour l'occase, un « fort volume » sortit de presse, grâce à l'intelligence de Jean-Paul Morel et des éditions Séguier, Les Portraits d'Ubu, dont il convient de saluer l'intérêt. Bien que cet affreux père Ubu eût soufflé récemment sa centième chandelle verte, rien de « sérieux » n'existait jusqu'ici pour recenser les multiples interprétations gra­phiques dont il fut l'hénaurme objet ! Certes, on pouvait s'esbaudir du charmant Ymagier du père Ubu, un minus-opuscule réalisé (en 1980 vulg.) au Collège de 'Pataphysique, par la Sous-Commission des Mo­numents Anhistoriques et Historiques pour la Sous-Commission des Incompétences Réalisatrices, mais, à part ça, peau de balle, nib de nib, ventripotence et déréliction ! Voici donc comblée cette lacune et nous aussi, en attendant de pied ferme l'immi­nente « Désoccultation » de l'an 2000 vulg. ce jour, plus que 733 fois dormir). Le docte professeur de physique Félix-Frédéric Hébert, dit P.H. ou Père (H)Ébé, souffre-douleur des potaches du Lycée de Rennes, fut donc, bien malgré lui, à l'origine d'un type universel. Les rares photographies qui nous en sont parvenues prouvent que le magister n'avait pas la tête en forme de poire, si ce n'est dans les malveillantes in­terprétations qu'en donnaient ses talen­tueux bourreaux, inspirés peut-être par les caricatures de Louis-Philippe par Charles Philipon ou par « La Grande jument numide de Gargantua », dessin que l'on peut décou­vrir (tel un plagiat par anticipation) parmi d'autres gravures dans Les Songes drolatiques de Pantagruel, où sont contenues plusieurs fi­gures de l'invention de maistre François Rabe­lais. Les frères Morin, Charles et Henri, bientôt rejoints par leur pote Alfred, inven­tèrent la gidouille du Maître des Phynances, bien avant que Gémier ne déclenche la pa­gaille que l'on sait en lançant à la face du monde le mot de six lettres, le 10 décembre 1896. Le personnage connaîtra par la suite une incroyable fortune iconographique et sera représenté, en son ignominie, par une foule d'artistes parmi les plus talentueux. Ubu inspirera les grands surréalistes, Max Ernst, Tanguy, Man Ray, Miro, Matta, Magritte ou Picasso le magnifièrent à maintes reprises. Il intéressera les artistes de Cobra, d'Appel à Jorn et de Constant à Alechinsky. Il séduira les membres du groupe Panique, comme Christian Zeimert, le peintre calembourgeois, ou le génial Roland Topor, ce dernier ayant d'ailleurs réalisé dé­cors et costumes pour une mise en scène au Théâtre National de Chaillot en 1992 ou, l'année précédente, pour un opéra « Ubu Rex », inoubliablement monté au Bayerische Staatsoper de Munich, sur de la mu­sique de Krzysztof Penderecki. Rouault, Calder, Aline Gagnaire, Enrico Baj, Adami, Jean Raine, Robert Tatin lui firent fête et, plus près de nous, Jacques Carelman, Jean Martin Bontoux, Henri Meyer, les Po$tZozo$ ou le capitaine Lonchamps y allèrent de leurs délires, pour la plus grande joie des palotins et palotines. Certes, Mallarmé avait bien saisi ce qu'Ubu avait d'éternel, lorsqu'il écrivit à Jarry : « Vous avez mis de­bout, avec une glaise rare et durable aux doigts, un personnage prodigieux, (...) cela en sobre et sûr sculpteur dramatique. Il entre dans le répertoire de haut goût et me hante. » Et bien « Merdre ! », Christine Van Schoonbeek, dite Ubustine, est à louer d'avoir ras­semblé pour la première fois toutes ces images, les assortissant d'une étude exempte de sottises. André Blavier, Commandeur Re­quis de l'Ordre de la Grande Gidouille, ne s'y est pas trompé, puisqu'il signe hardiment un « prétexte » à l'ouvrage, qui des vers n'est pas piqué.

André Stas