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Critiques de livres


Jean-Pierre Orban
Les rois sauvages
Pré aux sources — Bernard Gilson
1993
127 p.

Des sauvages au cœur de la cité

Unités de temps, de lieu, d'action : Les rois sauvages, de Jean-Pierre Orban, pourrait sans conteste se plier aux règles de la tragédie classique, et même y trouver quelques qualités. Car cette fiction très contemporaine impose d'emblée une construction bien charpentée, un rythme emballé, et une écriture qui se s'em­barrasse d'aucune demi-mesure. Venu des milieux de l'édition et de la publicité, Jean-Pierre Orban sait comment viser juste... sans pour autant frapper son lecteur en-des­sous de la ceinture : il s'intègre sans pro­blème à la collection de « micro-romans » (ils font entre 120 et 130 pages tout au plus) publiée par Bernard Gilson, dans sa maison du Pré aux sources. Les rois sauvages nous introduit dans l'une de ces mégapoles d'aujourd'hui ou d'un futur proche, où les notions d'utilité pu­blique, de critères esthétiques, architectu­raux, patrimoniaux ont depuis longtemps cédé la place à un affairisme abusif, qui a pour solides fondations la corruption des mandataires chargés de veiller au bien-être de leurs concitoyens. La mégapole dans la­quelle vit le narrateur Del Porto se nomme — ce n'est pas très neuf— Melleville. Clin d'œil à Robert Merle, ou peut-être égale­ment à ces cités « post-nucléaires » dessi­nées autrefois par Auclair dans la saga de Simon du Fleuve ? Melleville possède évi­demment son Maire, son Hôpital, sa Cité des Jeux et de la Télé, et un Airail qui, tra­versant le Fleuve, dessert les quartiers d'Omery et de Saint-Laurent. Et comme toutes les mégapoles, Melleville est régie par la division en quartiers monofonction­nels, correspondant à une inébranlable hié­rarchie sociale.

Del Porto est photographe, car Melleville a également son quotidien. « L'Avenir de Melleville », discours et photos invariable­ment orientés vers les félicités suprêmes que réserve à la cité l'élite qui la dirige. Les jour­nalistes, comme la police locale, comme la télé locale, sont tout naturellement fidèles à ceux qui partagent avec eux les miettes du gâteau, et la population suit. Les rêves cachent la réalité, jusqu'au jour où une banale prise d'otage au sommet d'un gratte-ciel met le feu aux poudres. Que nous réserve, après le Heysel, la coupe du monde de football aux Etats-Unis ? Quelle est la fonction sociale du délinquant, du hooligan, ou de ces « rois sauvages » qui, en bandes rivales, vont s'affronter aux quatre coins de la cité ? Peut-être celle qu'en donne Jean-Pierre Orban : « ce que les en­fants font là-dehors, c'est casser la réalité pour retrouver ou reconstruire les rêves. » Aux côtés du photographe, quelques per­sonnages, qui auraient peut-être mérité d'être davantage étoffés, emportent le lec­teur au fin fond de cette révolte, dans un tourbillon de violence et de désespoir. Sur­volant le ghetto à feu et à sang, un enfant à naître apporte une touche d'optimisme à ce récit efficace où tout repose sur une logique hélas bien réelle...

Alain Delaunois