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Critiques de livres


Bernard TIRTIAUX
Les sept couleurs du vent
Paris
Denoël
1995
296 p.

Le faiseur de vent

Nous sommes en 1558, sur un che­min de France. Sylvain Chantournelle, la figure avenante, s'en revient au pays après sept ans d'apprentissage en l'art de charpenterie. Il fait la connaissance d'Absalon d'Aiguera, luthier et marrane, qui lui offre un nymphaïon et son amitié. Mais à Visentine, pour fêter son retour, il ne reste que la nourrice. Sa famille aura souffert, comme tant d'autres, de l'inclémence inquisitoriale et de l'infamie des envieux. Le compagnon se lance dans un élevage de chevaux. Les obstacles sont nombreux, les ef­forts importants. Un brigand du voisinage tente de se saisir de son bien ; une autre fois, on met le feu à ses écuries. Mais Sylvain tra­verse les peines et les dangers avec le cœur sur la main, ayant pour lui la morale du juste. L'année suivante, il est à Dijon et participe à la reconstruction de la tour de la cathédrale Saint-Bénigne. 


Bernard TIRTIAUX
Le passeur de lumière
Paris
la collection Folio
1995
395 p.

Il y fait de nouveaux amis qu'il accompagne à Saint-Omer. Là, il se dé­couvre une passion pour Mathilde, la fille d'un comte désargenté. Il lui faut déployer toute sa grâce et ses talents de musicien pour venir à bout des réticences de la famille, qui finit par accepter le mariage des amants. Deux notables de la ville lui commandent un jour la construction de gibets de po­tence. L'artisan refuse. On l'envoie aussitôt en prison, puis aux galères. Endurant avec courage toutes les souffrances, venant à l'aide d'un gentilhomme qui est son compa­gnon de misère, Sylvain sera sauvé par son frère aîné, une âme sombre qu'on aura déjà rencontrée quelquefois auparavant dans le roman. Quand enfin il est de retour au foyer, sa femme se jette dans ses bras en pleurant ; elle lui dit : « — Où étais-tu ? Cela fait un an que je t'attends ! » Nous sommes à la page 128 d'un roman qui en compte trois cents — Les sept couleurs du vent de Bernard Tirtiaux — et votre servi­teur un peu confus doit avouer qu'il n'a pas eu le courage d'aller plus loin. L'auteur a publié il y a deux ans Le passeur de lumières.

Les lecteurs de ce premier roman historique accepteront, s'il leur plaît, de juger sur pièces de la qualité du second. J'émettrais pour les autres les réserves suivantes. Ce roman est d'une pauvreté psychologique affligeante ; les personnages traversent des situations extrêmes sans qu'on sache rien de leurs sentiments. Leurs caractères, décrits une fois pour toutes dès leur entrée en scène, sont fades et correspondent aux sté­réotypes les plus éculés du genre. Les événe­ments abondent mais ne sont soutenus par aucune nécessité narrative ; les articulations font défaut. En outre, certains développe­ments attendus, telle l'idylle entre Sylvain et Mathilde, ne sont pas racontés, seule­ment résumés. Aucune place n'est faite au dialogue. On trouve bien ça et là du dis­cours direct, mais les personnages ne se ré­pondent pas les uns les autres. N'ont-ils rien à se dire ? Enfin, l'Histoire sert de bien piètre décor, peu détaillé et peu utilisé, sinon dans sa dimension anecdotique (par exemple, dans l'usage d'instruments obsolètes, tel le nymphaïon qui était une sorte d'orgue pratiqué par les troubadours). Toutes ces déficiences pourraient tourner à l'avantage du roman s'il se destinait à la veine picaresque. Mais il faut alors accuser d'autres aspects du récit : la lenteur des mises en scène, la banalité et la répétition prétendument réalistes des situations, et sur­tout l'extrême naïveté et le manque absolu de second degré dans la narration.

Car, bien plus regrettable que le dénuement stylis­tique, c'est l'indigence morale et intellectuelle qu'on voudrait ici condamner. Je n'aime pas cet égocentrisme irresponsable qui, sous couvert d'un humanisme bon en­fant, revisite des époques révolues à la lu­mière de l'éthique contemporaine. Le ma­riage d'amour du compagnon avec la belle damoiselle (« une des jeunes filles les plus courtisées de Saint-Omer » !) est un exemple des falsifications historiques et des complai­sances romanesques dont le récit est truffé. C'est pour ainsi dire la médiocrité de l'Idéologie qui s'écrit sous la plume de Tirtiaux. Ce dernier n'a pas même l'excuse d'avoir raté son roman ; il aurait fallu pour cela qu'il ait eu l'idée d'y tenter quelque chose. Serait-ce alors seulement le succès du Pas­seur de lumière qui aura poussé l'auteur puis l'éditeur à renouveler leurs profits ? C'est une ambition raisonnable, mais que ne saurait prendre en considération la cri­tique littéraire.

Sémir Badir