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Critiques de livres


Raymond MASAI
L'Eté de Prague
Le Grand Miroir
2002
250 p.

Prague, le temps d'un été

Aujourd'hui, en août 2002, ce sont les images de Prague victime des inondations qui font la une des bul­letins d'information. Le 21 août 1968, c'étaient les images des chars russes sur la Place Wenceslas qui faisaient la une. Les troupes du Pacte de Varsovie envahissaient l'aéroport, les quartiers historiques, le cœur de la ville tchèque et entendaient ainsi mettre un point final au « Printemps de Prague » et à la politique ouverte du prési­dent Dubcek. Puis, terribles, les images de Jan Palach et de son immolation par le feu. Aujourd'hui, Prague est libre : qui se sou­vient de tout cela ?

Avec L'été de Prague, Raymond Masai se souvient. De cet été-là et puis de tous ceux qui ont suivi. Ceux de l'occupation, ceux du régime fort, ceux du communisme qui se craquelé, puis ceux de l'ouverture. Les al­lers-retours sont désormais autorisés mais c'est aussi le temps de l'ouverture au capita­lisme le plus effréné : à la veille de l'anni­versaire du 21 août, ce sont Mercedes, Coca-Cola et McDonalds qui occupent la place Wenceslas pour un show de go-karts ! Et si, le lendemain, les télés occupent la place Wenceslas, ce n'est pas la foule pour commémorer un anniversaire désormais ou­blié. « Décidément, le passé ne fait pas re­cette. Décidément, l'histoire ne se lit au présent que dans les manuels scolaires » dé­plore Jozef avant de déposer un bouquet sur la stèle dédiée à Jan Palach. Jozef Smircek, lui, n'oublie pas. Août 68, c'est l'été de ses vingt ans. Il n'oubliera pas le chuintement des tourelles qui pivotent, le sol qui tremble, le crépitement des armes automatiques. Il sera à jamais personnelle­ment marqué par ce 21 août, anniversaire de la mort de Jan Palach mais aussi de sa rencontre avec un amour aussi intense que fugace.

Pour échapper aux chars qui envahissent la Place Wenceslas, Jozef se glisse dans une cour d'immeuble qui abrite un entrepôt ; il y entraîne Florence, une jeune Française surprise elle aussi par la violence de l'inva­sion. Quelques heures d'intimité forcée, la rencontre avec une vieille dame émou­vante, la présence d'une menace à la porte de l'abri intensifient l'impact de la ren­contre. Florence retournera en France sans que Jozef puisse la retrouver ni même lui écrire. Mais le souvenir de cette nuit unique ne s'estompera jamais ; même si Jozef aime sa femme et ses deux enfants, il rêve toujours de Florence. Au travers de son personnage, Raymond Masai, par ailleurs professeur de français et de sciences humaines à Mons, nous invite à reprendre contact avec les bouleversements politiques et idéologiques de la deuxième moitié du XXe siècle. Au fil des ans et des changements, transparaissent tous les ques­tionnements récents sur l'engagement poli­tique et social, les envies d'un socialisme à visage humain, les révoltes contre le commu­nisme intransigeant, les leçons de l'Histoire.  

Nicole Widart