pdl

Critiques de livres


Axel SOMERS
Le temps du rêve
Editions Les Eperonniers
coll. Maintenant plus que jamais
2000
198 p.

Les boucles du songe et du temps

Dans Le temps du rêve, un premier roman troublant, qui entrecroise les fils de plusieurs histoires, se plaît aux énigmes, aux silences, cultive les signes et les symboles, on entend une voix personnelle, qui se cherche encore, parfois se fourvoie, puis retrouve sa force poétique, son lyrisme vibrant.

Cette voix appartiendrait, si l'on en croit la quatrième de couverture, à un certain Axel Somers, né voici trente-cinq ans dans l'ex-Zaïre, que l'on imagine spontanément nourri des fables et contes familiers de son pays natal.

L'auteur et l'éditeur ont brouillé les pistes, mais le secret s'est éventé : Axel Somers n'est autre que Serge Delaive, le poète de Légendaire, Monde jumeau, parus dans la collection Feux des Eperonniers, et de deux autres recueils, Par l'œil blessé, à l'Arbre à Paroles, et Revolver, publié l'an dernier aux éditions de l'Acanthe.

Pour ses débuts romanesques, il n'a pas choisi la facilité : ni dans la trame ni dans l'écriture. Mais si l'originalité, un certain souffle, la ferveur lui font rarement défaut, on reste souvent perplexe, quelquefois en arrêt, devant une langue qui tantôt se montre savante et raffinée (Voiles ferlées, monde fragrant, voiles armées), évocatrice (le froid vif, cerclé d'épines, qui régnait au-dehors), tantôt verse dans l'obscurité ou jongle curieusement avec les mots (pièce dé­pravée, hôte improvisé, pagayer un canoë...). Au cœur de ce texte onirique nous étreint la chasse à l'ours d'un homme que l'hiver pré­coce surprend, dans la solitude des mon­tagnes, mais qui s'obstine à poursuivre sa traque, malgré la neige et les marteaux du gel, finissant par se confondre avec sa proie.

Un homme surgi de nulle part, qui s'est installé au village, taisant farouchement son passé et son nom, partagé entre une atti­rance sauvage pour la vie et le désir féroce de saisir la mort au lasso pour s'en approcher au plus près, au plus vite. Habité par l'intime conviction que la ligne droite est une illu­sion, un leurre. Loin de se diviser en trois zones distinctes : le passé, le présent et l'avenir, le temps court en boucles qui s'ou­vrent puis se referment et montent en spirales. Chaque boucle contient les conditions de la suivante ; ainsi il n'y a pas de place pour le hasard. Le hasard n'existe pas. (...) Seul le présent existe, mais il est extensible, comme une vague sur la mer. Le présent se creuse, et il grimpe.

L'homme s'égarera, errera, retrouvera le chemin du village, les bras de la femme qui l'attend, mais repartira dès l'aube. En quête de l'amnésie définitive où, sous la neige, tout s'ensevelit... ?

D'autres silhouettes solitaires lui répondent en silence. La femme, descendant avec son panier de sa cabane à l'écart du village jusqu'au fleuve (Longuement, elle battit le linge. Longuement, elle battait son esprit contre le galet, afin de le vider, de l'assécher. Afin que l'écorce de la moindre pensée s'y écorche.), puis traçant sur le sable, les yeux fermés, des signes qui lui sont mystérieuse­ment dictés mais qu'elle n'a pas appris à lire... Ou le petit garçon obsédé par le sui­cide de son père, qui harcèle sa mère de questions, tourne autour de son unique ré­ponse (On meurt quand la vie est vieille. Ça dépend des personnes. Il y a de vieilles per­sonnes chez qui la vie est jeune. Et il y en a de jeunes, ou plus ou moins jeunes, comme ton père, chez qui la vie s'est trop rapidement épuisée), et décide de fuir cette ville où son père est mort et où, inéluctablement, s'il y demeurait, lui aussi mourrait. C'est désor­mais son unique certitude : S'envoler sur les ailes ultra fines des illusions. Et de l'une à l'autre, vivre un bond plus loin. Tous tentent d'écouter le rêve à l'intérieur du rêve.

Dans leur sillage, si nous écoutions le nôtre ?

Francine Ghysen