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Critiques de livres


Xavier DEUTSCH
Le tilleul de Stalingrad
Le Castor astral
coll. Escales du Nord
2001
128 p.

Les arbres et l'éternité

Xavier Deutsch est l'un de nos au­teurs les plus productifs. A trente-cinq ans, il a en effet déjà publié une douzaine de romans, la moitié d'entre eux étant destinés à la jeunesse. Il ajoute au­jourd'hui à sa bibliographie un recueil de nouvelles varié et plaisant. Le tilleul de Stalingrad n'est pas constitué d'un ensemble de textes conçus au départ pour former un livre, mais de nouvelles éparses, déjà parues pour la plupart dans La Libre Belgique et dans divers ouvrages col­lectifs. Ainsi peut-on découvrir, en quelques pages, plusieurs facettes du talent de Xavier Deutsch, qui passe avec aisance d'un récit réaliste à un conte fantasmagorique, d'une envolée surréaliste à une anecdote comique, d'une fausse enquête policière à l'évocation de vraies guerres.

Malgré la variété des tons, le livre trouve sa cohérence dans certaines obsessions théma­tiques. Les arbres, par exemple, sont au centre de deux intrigues tout à fait diffé­rentes : dans « Certains jours le ciel est con », un vieux tronc fait la pluie et le beau temps et, dans la nouvelle qui donne son nom au recueil, un Luxembourgeois enrôlé malgré lui par les Allemands voit son destin se lier à un tilleul lors de la bataille de Sta­lingrad. Ce texte, baptisé « Les arbres », est d'ailleurs sans doute le meilleur du livre : non seulement l'intrigue finement tressée entraîne irrésistiblement le lecteur à sa suite, mais surtout, en quelques pages, Deutsch parvient à donner une intensité existentielle à son propos. Un autre thème revient à plusieurs reprises dans le recueil : trois nouvelles sont consa­crées à des êtres extrêmement vieux et sans doute éternels. Dans l'une, un iguane monstrueux, dans l'autre, Caïen en per­sonne, et, dans un texte d'allure borghésienne, un ordre monastique mystérieux dé­fient le temps qui passe. Mais le livre trouve aussi son unité dans le regard très personnel que Xavier Deutsch porte sur les choses : il y entre toujours une grande fraîcheur, beaucoup d'humour et une sorte de fausse naïveté. Souvent, l'au­teur introduit un petit décalage dans le fil de sa narration et lance de petits clins d'yeux à ses lecteurs. « Ce n'est pas la peine, un jour comme ça, de peindre les mouettes en bleu : elles sont déjà bleues, avec le soleil », note-t-il par exemple. Ou, au mo­ment de retrouver un personnage un mo­ment délaissé par le récit : « Tout ce temps, Emile, le petit garçon, a regardé les bords de cette histoire. » Son originalité tient aussi à ses exclamations (« Mais soudain... Tintin en Amérique ! Victime d'une crevai­son, la locomotive tangue [...] ») et à ses comparaisons, tantôt insolites (« plus dévas­tateurs que le typhon Luis et Bart Simpson réunis »), tantôt idéologiques (« plus sec que l'âme d'un banquier suisse »). La manière dont finissent les nouvelles pro­voque également un léger décalage. Elles se closent en effet volontiers par des points de suspension, par une hésitation quant au sort du personnage principal ou par une échap­pée vers une autre aventure. Xavier Deutsch semble, au moment de le terminer, regretter tous les chemins possibles et contradictoires qu'aurait pu emprunter son récit. Le texte « Isabelle a les yeux bleus » est le plus signi­ficatif à cet égard. Pour amadouer des cor­beaux maléfiques, un personnage leur ra­conte mille et une histoires. Mais celles-ci ne sont pas reproduites : l'auteur se conten­te de donner l'argument de quelques-unes d'entre elles. Qui plus est, l'anecdote des oiseaux est un récit encadré : elle est incluse dans les dessins d'Isabelle... Entre diversité et obsessions récurrentes, Le tilleul de Stalingrad permet donc à Xavier Deutsch d'explorer à sa guise les plaisirs in­finis de la narration.

Laurent Demoulin