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Critiques de livres

Un vigile au cœur tendre
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 145

Le premier recueil poétique de Philippe Leuckx, Une ombreuse solitude, paru voici douze ans aux éditions de L'Arbre à paroles, dévoile déjà, sous les attentes et les mouvements du coeur, une intime résistance au temps qui passe, défait, délie.

«Je reviens, le temps d'une nuit, je me mets à la fenêtre, regard tendu vers la moindre étincelle dans le sombre et la nuit. Je suis au pays comme son et farine dans la rondeur du grain, en terre familière. J'y écris contre le désastre, contre l'oubli, contre l'érosion du bois au pas des portes, à cause des pluies; j'écris pour que ma main porte message, humblement, avec sa gerbe de mots simples.»

La ferveur de l'élan et la simplicité du langage se retrouvent au fil des plaquettes de vers par lesquelles ce poète hainuyer, né en 1955, ponctuellement nous fait signe.

Il est resté fidèle aussi à des thèmes, des images, des sensations : les heures graves et lentes, la solitude chantée dans la douceur du soir, les odeurs du vent et de la terre, l'enfance, «ses pas, ses billes mortes, ses pertes, ses perles». À des mots, cailloux blancs sur son chemin en poésie : lumière, espace, enfant, fruit, ombre, main…

Aujourd'hui, Philippe Leuckx nous invite à suivre à ses côtés La rue pavée, qui nous semble familière, car nous reconnaissons des impressions, des émotions découvertes dans une séquence (Rue première) du recueil paru en 2003 chez Tétras Lyre sous le beau titre Sans l'armure des larmes, et qui resurgissent, lancinantes. Ainsi : «L'ombre est ma fatigue fraternelle.» Ou encore : «Je promène le soir avec la laisse d'un chagrin.» «Il neige sur les dimanches. / Je remonte la rue vers le pain. / Je croise la neige comme une passante.»

Mais la forme est resserrée, plus incisive, mieux rythmée. Révélant un mûrissement, un accomplissement, qui garde l'empreinte des envolées et des tremblements de l'enfance.

«Si j'appelle, un enfant qui me ressemble / Double mon propre écho et court / Une ficelle au bras. Si je crie, je suis / Ce ballon fou jusqu'à perdre ma trace.»

Philippe Leuckx se souvient des odeurs de paille et de lait, des haies et des jardins, des greniers et des granges, sous «le ciel de mes années d'enfant / Au tournant de la ferme». Du poème de novembre «que la vieille / Très douce-ment récitait au premier givre / Au premier gel». Invoque la figure paternelle, distante et proche; «Mon père, ne sois pas trop sage. / Je finirai bien par te ressembler, liseré blanc autour du visage.» Entre eaux calmes et tourments, rire bleu et landes amères, le poète veille.
«Je suis le vigile / Cloué dans sa guérite, avec l'ombre du mur / Pour me toucher l'épaule.»

 

Philippe Leuckx, La rue pavée et autres poèmes (1993-2001), Mont-Saint-Guibert, Éd. Le Coudrier, 2006, 59 p.