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Critiques de livres

Le vide. Univers du tout et du rien

Voici un monument scientifique et lit­téraire, érigé par l'Université de Bruxelles avec la collaboration de physiciens et philosophes du monde entier, qui semblent avoir été sélectionnés pour leur art d'écrire. C'est par endroits un dialogue entre initiés, pimenté parfois d'invectives ré­ciproques. Mais c'est surtout une familiarisa­tion du lecteur avec la notion d'un vide plein de potentialités. Car le vide n'est pas le rien, mais ce qui reste quand on a tout enlevé d'ob­servable. D'où la fascination de chercher ce qui reste derrière le mesurable, et l'excitation de découvrir que le vide aurait une fonction. Ce livre incite à ce qu'on s'acharne sur lui. On se dit : fais gaffe ! Plus tu avanceras dans les chapitres, plus les difficultés vont se corser ; tu vas te casser le nez sur un vocabu­laire d'initiés, et sur ces longues formules ma­thématiques si jolies de forme. Mais on pé­dale avec passion parmi des perspectives variées, et l'envie d'abandonner recule de page en page. Puis voici que l'on tombe, loin dans le livre, sur un texte qui est perle entre les perles, frais et élégant, connivent avec le lecteur. Et clair ! C'est celui d'Edgard Gunzig. Je m'y arrête, et tente de le paraphraser. Avant la création de l'univers, le temps exis­tait-il déjà, ou est-il lié à la présence d'espace et de matière ? Et l'espace lui-même a-t-il un sens en l'absence de l'univers ? Peut-on dire : où l'univers est-il né ?

Avec la relativité générale, l'espace-temps cesse d'être un décor passif, un réceptacle, pour devenir un acteur, presque un être bio­logique, puisqu'il se courbe sous l'effet de son contenu matériel. Contenant et contenu ne sont plus indifférents l'un à l'autre, mais se répondent dans un jeu interactif, exprimé par les équations d'Einstein, dont Gunzig chante « le pouvoir narratif ». Mais dans ce décor, il faut placer le vide. Si espace-temps et matière sont indissociables, voilà que l'espace-temps lui-même doit être éliminé pour accéder au vide.

Pourquoi l'univers ne s'effondre-t-il pas sous l'effet de la gravitation ? Einstein invente une constante « qui éradique la pathologie de l'ef­fondrement ». Cette constante cosmologique serait source de répulsion, équilibrant exacte­ment l'attraction des étoiles entre elles, et donnant lieu à un univers statique. Gunzig nous fait percevoir les choses comme si le ma­thématicien traitait médicalement la nature, la guérissait d'un symptôme, celui de la chute infinie sur soi-même. Comme si l'univers avait attendu qu'un principe physique naisse d'un cerveau pour s'y soumettre. Et Gunzig repart sur le mode médical : « ce premier mo­dèle cosmologique statique, ses jours étaient comptés ! » Car arrive Hubble qui, le nez au télescope, voit les étoiles rougeoyer en s'éloi­gnant et conclut à la récession des galaxies, à l'expansion de l'univers. Et Gunzig de nous dire : « La chute de l'Univers statique portait un coup redoutable à la constante cosmolo­gique ». Cette personnalisation de la constante cosmologique, dramatiquement écrasée, illustre combien la mathématique semble in­venter pour les physiciens des personnages susceptibles d'être blessés. L'univers s'étendra toujours si la densité du contenu matériel suffit. Mais avons-nous assez de matière pour nous permettre cette émanci­pation infinie ? On récupère la constante d'Einstein en imaginant qu'elle simulerait dans le vide un milieu matériel ésotérique permettant à l'univers de s'étirer sans consommer. (Voila notre constante devenue simulatrice, douée d'attitudes psycholo­giques). Elle serait le moteur de l'expansion. Et si le vide lui-même produisait inévitable ment sa constante cosmologique (vide actif, occupé à produire) ? Cette dilatation du vide, continue Gunzig, allait devenir le remède mi­racle qui insuffle de l'inflation à l'univers au début de sa vie.

Le problème de l'origine de l'univers va contraindre au face à face la théorie de la rela­tivité générale et celle du quantique, qui s'étaient ignorées superbement. La naissance de l'univers se conçoit mieux à partir d'un vide quantique, lequel n'est pas absolu mais possède la plus basse énergie possible compa­tible avec les incertitudes d'Heisenberg, qui in­terdisent l'immobilité absolue. Les particules et les champs ne sont pas absolument figés, mais se trouvent dans la plus grande immobi­lité réalisable quantiquement. Il subsiste une mouvance, qui s'exprime par des fluctuations spontanées et chaotiques autour de la valeur classique nulle. Ces fluctuations quantiques du champ laissent accès à des « particules » virtuelles, des promesses de particules, qui surgissent spontanément du vide, par paires, avec l'obligation quantique de devoir se réannihiler aussitôt. Elles existent le temps d'une incertitude, mais pourraient se matérialiser si on leur en donnait les moyens énergétiques. D'où viendrait le minimum d'énergie néces­saire pour faire basculer le virtuel vers le réel ? Mais voyons ! Il naîtrait des fluctuations du vide elles-mêmes, qui comportent une éner­gie associée. Fût-elle infime et fugitive, elle « aurait le temps » d'être source de force de gravitation. Et voici le monde en marche. Il eût fallu résumer bien d'autres chapitres, qui se recoupent, rompent la fatigue par leurs diversités. Le meilleur livre que j'aie tenu en mes mains depuis longtemps, tendre alliance de la science avec la littérature.

Lise Thiry

Edgard GUNZIG et Simon DINER (éd.), Le vide, Revue de l’Université de Bruxelles, n°1-2, 1997, Ed. Complexe, 1998, 528 p.