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Critiques de livres


Charlantoine de TRAZEGNIES
Le vieux beauf et la jeune jolie
Bruxelles
La Longue vue
2000
Illustrations de Charley Case
64 p.

Papa chic et poupée charme

La cinquantaine bien sonnée, une cas­quette écossaise, des lunettes de soleil, une fine moustache frisée aux extrémités, les joues roses, le menton affirmé, un col blanc, un costume deux pièces rehaussé d'un foulard : voilà un vieux beau ! Il s'ap­pelle Rossignol, il possède une voix à faire frémir un merle de jalousie et une décapo­table aux lignes affolantes qui peut aller très très vite. C'est dans ce bolide qu'il emmène Coqueluche, la jeune jolie. Coqueluche aux longs cheveux blonds, à la robe d'or et aux mains si fines qu'elles passent en-dessous des portes. Coqueluche, c'est la grâce même ; en la voyant je voudrais moi aussi devenir vieux et beau. Mais ce n'est pas l'histoire... Ça, ce sont les rôles vedettes ; ajoutez à cela un merle enchanteur, des rhinocéros trans­porteurs, des hommes et des femmes spec­tateurs, la distribution sera complète, le spectacle pourra commencer. En voiture ! Le vieux beau fâché tout rouge n'hésite pas à appuyer sur le champignon, la jeune jolie en devient pâle, jaune et violette, les voi­tures se métamorphosent aux cratchi croutch d'Aménophis le merle ; cette comédie étour­dissante aux dominantes de rose se prolonge en fête très tard dans la nuit mauve : bref, ils nous en font voir de toutes les couleurs. Ici, pas de catastrophe naturelle, pas de meurtre, ni de quête spirituelle ; comme chantonne Rossignol : Mon chemin n'est pas semé d'embûches / mais de fantaisie. Tout ce qu'on aime dans la littérature pour enfant est rassemblé ici : une histoire divertis­sante et burlesque, assortie d'illustrations tout en finesse. Charlantoine de Trazegnies, l'au­teur (qui n'en est pas à sa première tentative puisqu'il avait participé au recueil De sable et d'ardoise, publié également aux éditions La Longue Vue, qu'il dirige) allie légèreté et fi­nesse. L'histoire n'est pas élaborée, mais ce n'est pas l'objectif : avec Le vieux beauf et la jeune jolie, de Trazegnies nous emmène — nous, c'est-à-dire les petits lecteurs et moi — dans une joyeuse idylle, où l'amour rend en­core plus beaux les vieux beaux et plus jolies les jeunes jolies. Sous son emprise, Rossignol apporte sa fantaisie d'amoureux transi et Co­queluche ne résiste pas au plaisir, propre aux jeunes jolies de son espèce, de rougir et s'aban­donne toute entière à leur histoire. Et, com­ment aurait-il pu en être autrement ? L’auteur termine cette histoire sur un happy end : Tu es le plus beau des vieux beaux, murmure la jeune jolie, la tête posée sur l’épaule de son compagnon.

Quant aux illustrations, signées Charley Case, elles sont tout simplement magni­fiques. Joie, surprise, fureur, contentement, Charley Case campe les émotions des per­sonnages avec une facilité qui semble enfan­tine. Des trouvailles savoureuses rehaussent le texte : sous son pinceau, les arbres se pen­chent devant la vitesse de la voiture et l'on passe aisément des cheveux de Coqueluche aux fumées d'échappement. Les couleurs et les formes, entre l'imaginaire et le réel, sont vives et attachantes.

C'est d'ailleurs dans cet enchevêtrement de réel et d'imaginaire que la collaboration entre l'auteur et l'illustrateur se révèle parti­culièrement réussie. Et si vous croyez qu'un vieux beau et une jeune jolie, ça ne va pas ensemble, suivez le conseil de Rossignol : allez à la côte d'Azur.

Noël Lebrun

[NDLR : Le titre initial, tel qu'il figurait sur les épreuves fournies par l'éditeur, était Le vieux beau et la jeune jolie, ce qui explique quelques décalages du texte ci-dessus.]