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Critiques de livres


Julos BEAUCARNE
Le virelangue
Actes Sud
Arles
1992
(recueil qui reprend, entre autres, les textes du spectacle « La Fête à Julos »)
77 p.

Des goûts et des couleurs

Peut-on rester insensible au person­nage de Julos Beaucarne dont la pré­sence sur scène s'impose, que l'on soit sous le charme d'un courant de sympa­thie chaleureuse ou agacé par un côté écolo bon enfant qui ferait recette ? Il n'est pas simple de relire ses textes en faisant abstrac­tion du beau timbre de sa voix et de son pull arc-en-ciel. Et pourtant, à découvrir ou redécouvrir ses comptines, chansons, proses poétiques et poèmes, il apparaît à l'évidence que le poète prime sur son image, quelque envahissante qu'elle soit. En quête des mots, de leurs volumes, leurs couleurs, de leur sensualité première en quelque sorte, Beaucarne leur rend une vi­talité perdue, qu'ils soient bousculés dans une joyeuse effervescence ou bras dessus bras dessous dans une ordonnance plus sage. Ainsi dans les virelangues, ces exer­cices de prononciation où des chaussettes d'archiduchesse et des petits pots de beurre sont autant de chausse-trapes, Julos, lui, a ses cathédrales à recathédraliser, ses cent blondes explosives et un chanteur saisonnier de Soissons. Jeu assurément, mais pas com­plètement gratuit. La jubilation naît de la cocasserie des rencontres, mais aussi du goût des mots dans la bouche qui, avec leurs contours, retrouvent des saveurs ou­bliées. Une façon de rappeler que le mot n'est jamais innocent, à moins qu'il ne le soit jusqu'à l'absurde.

Tout n'est pas jeu pour autant. Les vélos volants, hélioplanes et navires photovoltaïques qui parcourent certains textes bali­sent une utopie apaisante qui renoue avec un imaginaire éternel. Celui de l'harmonie des hommes et de la planète, paradis pas tout à fait perdu dans l'intimité des êtres, mais toujours à deux doigts de l'enfer. Rêve et conscience, jeu et mémoire, humour noir et sensualité, la poésie de Beaucarne n'est jamais, au sens premier du terme, mono­tone.

Dominique CRAHAY