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Critiques de livres


Gérard ADAM
Le vol de l'oiseau blanc
Editions Luce Wilquin
collection Sméraldine
1997
328 p.

L'âme d'Etretat

 Le vol de l'oiseau blanc vous emmène au bord des célèbres falaises nor­mandes, là où Nungesser et Coli se sont élancés une dernière fois vers l'Amé­rique. Terrible destin qui engloutit dans l'océan les rêves des Icare français quelques jours avant que Lindbergh traverse victo­rieusement dans l'autre sens. Mets des galets dans tes poches et va sauter des falaises, dit-on à Etretat. Mais ils viennent de loin ceux qui font vivre un dernier bond à leur voiture avant de franchir, phares allu­més, l'espace entre les deux falaises. Comme celles, qui, vêtues de leur robe de mariée une ultime fois, se précipitent dans la lumière des projecteurs et s'échouent sur le sable, pauvres pantins blancs désarticulés provoquant juste un chant sauvage un peu plus aigu des mouettes et des goélands dérangés. Des falaises d'Etretat, prend-t-on son envol ou s'écrase-t-on lamentablement ? C'est entre ces deux ouver­tures que balance le cœur d'Hervé Leriche, informaticien fou, indécrot­table zéro que sa femme vient de quitter, initiateur d'un projet gran­diose qui vient de s'effondrer... Quelle réponse dans ce paysage grandiose où tout pourrait avoir com­mencé ?

Un espace entre deux falaises, l'Ai­guille, la Manneporte, y perçoit-on l'âme de tous les matins du monde ou un gouffre l'on saute sous le regard de petites filles horrifiées ? Al­lers, jamais retour ? Il est des jours où l'on croit volon­tiers que le temps est à l'unisson, nul besoin de relire les préromantiques pour le savoir : le brouillard est au diapason des cœurs essoufflés. Lambeaux d'amertume qui se déchirent par instants, fragments de lumière qui surgissent là où c'est incongru et n'éclairent que la douleur. Etretat perdu dans le brouillard, dérisoire aventure de celui qui a tout perdu et cherche à clarifier sa vie.

Des éclats d'opacité fulgurante, des nœuds de lumière éblouissante traversent cette touffeur blanche, ce coton informe aux goûts et couleurs sales. Puis, une certaine chaleur, une certaine douceur, l'odeur des baumes pour la toux que les mamans fric­tionnent sur la peau des bébés. Les souvenirs de la douceur de ces moments-là luttent avec les violences de l'échec. Là, à Etretat, au bord du gouffre qui s'ouvre sous lui, qu'il sait mais qu'il ne voit pas, Hervé Leriche se déchire...

Soudain, la brume frémit vers l'argenté, qui vire ensuite à l'aigue-marine, retraçant les contours de l'océan face aux roux chauds des ocres. Et, dans cette renaissance subite du monde, une femme peint. Peint l'inef­fable, l'indicible, l'âme d'un lieu sublime, d'une genèse miraculeuse et soudaine. Pre­miers instants à Etretat, entre désastre et nouveau départ. Nouvel amour ? D'une rencontre à l'autre, d'une piste à l'autre, Hervé Leriche cherche la voie de la survie. C'est à Bruxelles, la lointaine, qu'un autre se suicidera... Le Vol de l'oiseau blanc hésite, ef­fleure le minable, touche le ma­gique, s'inquiète du quotidien, se frotte aux philosophies d'un petit monde luxueux qui s'adonne au golf ou au farniente, croque une galerie d'autochtones, méchamment, redé­couvre la placidité des vaches au bord des falaises, et la fulgurance du désir d'être oiseau pour enfin s'arra­cher à la glaise.

Gérard Adam, lui aussi, semble hési­ter : entre poésie et réalisme, enquête presque policière et propos résolu­ment philosophiques. Si ces oscilla­tions entre fulgurance poétique et hyperréalisme explicatif ne vous dé­rangent pas, vous pourrez entrez de plain-pied dans un univers à la fois contemporain et très romantique...

Nicole Widart