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Critiques de livres


Isabelle GARNA
L'indiscrète
Bruxelles
Luc Pire
coll. Embarcadère
2003
164 p.

Jardins secrets

Un vendredi en fin d'après-midi, Maria, entre le boulot et le retour à son appartement, fait ses courses à la supérette du quartier. Un petit carton y attire son attention : Clotilde Dujardin or­ganise ce soir une fête chez elle et elle s'ex­cuse à l'avance du bruit qui pourrait déran­ger les voisins. En rentrant, ses sacs de course à la main, Maria croise un autre voi­sin qu'elle croit étudiant en photographie. Elle range un peu, fume, ne sait pas trop quoi faire, jette un œil par la fenêtre sur le balcon de Clotilde en contrebas, se laisse distraire, oublie de s'occuper des chats de Madame Michel, écoute de la musique. Maria est seule, elle ne s'étonne pas de n'avoir aucun message sur son répondeur téléphonique. Personne ne l'attend, per­sonne ne la réclame, elle peut paresser, se caler entre deux coussins avec un bout de fromage, laisser revenir ses souvenirs ou regarder par la fenêtre les préparatifs de la fête. Justement, le traiteur vient de passer faire sa livraison. Et comme il fait chaud, la fenêtre est ouverte, Maria perçoit certains sons, certains mots. Scruter ce qui se passe chez Clotilde et imaginer ce qu'elle ne peut voir devient l'occupation de Maria, une ma­nière de meubler sa soirée. Elle va voir la mère de Clotilde s'activer aux préparatifs, les apartés de la blonde qui fume avec la blonde qui ne fume pas, le chauve qui drague maladroitement...Au gré des cir­constances, par associations d'idées, Maria repense à sa sœur, musicienne, à son frère, qui haïssait le foot, à d'anciennes amies ou à François, trop macho, avec qui elle a rompu. Son esprit vague, entre souvenirs et observations, et construit peu à peu une os­sature, une intériorité, à ce qui ne relève, de prime abord, que de l'apparence. La soirée avance, Maria se raconte des histoires.


Ludovic FLAMANT
Etre Vera
Grolley-Bruxelles
L'Hèbe-Luc Pire
2003
69 p.

Disons-le sans fard, mais sans rien révéler, la fin de ce roman propose un coup de théâtre surprenant même s'il ne me satisfait pas pleinement. J'aime beaucoup cette in­discrète Maria, indolente jeune femme très postmoderne qui préfère se remplir de ce qui se passe ailleurs plutôt que vivre sa propre vie, imaginer les sentiments des autres plutôt que se prendre en charge mais Isabelle Garna n'aurait-elle pas dû trouver pour son héroïne une sortie plus honorable, moins factice ? Il n'empêche, l'écriture est limpide et le ton juste. Maria se découvre résolument comme notre contemporaine et on a du plaisir à l'accompagner durant cette soirée.

Roman, le premier livre de Ludovic Fla­mant ? Oui, mais soyons clair, l'étiquette est là pour faire simple car Etre Vera est une prose qui a des allures de poème et l'étrangeté du rêve. Le livre tient de l'hommage et du constat dépité. C'est une histoire d'amour dans laquelle un narrateur assez in­déterminé évoque les douloureuses variantes de son désir pour une Vera très imprécise, fluctuante, qu'il voudrait, chose impro­bable, devenir ou connaître de l'intérieur. Bien sûr, Vera, toujours, lui échappe, ce qu'il transcrit à sa manière, qui tient plus de l'incantation que de la description : Vera, sans cesse, s'anamorphose, parce qu'elle vit sa propre vie et parce qu'elle est racontée comme un fantasme. Qui est cette Vera qui porte le nom d'une autre ? Qu'on imagine un moment analphabète puis qui se livre à des expériences scientifiques. Qui range son courrier selon la couleur des timbres et prend des bains. Qui fête son vingt-cinquième anniversaire et cuisine « du poreux». Qui est pure, patiente, mais ne dit rien avec des mots... Ce livre est une partition de silences et de notes énigmatiques, de ces vertiges hallucinés auxquels le désir boute le feu. On s'y engouffre car on s'y reconnaît trop bien mais... Au fond, qui est Vera ? Allez savoir s'il s'agit d'une femme ou si nous sommes piégés par un imaginaire anthropomorphique. Reste une bizarrerie : le narrateur veut être « Vera » mais se dit et se répète « pourceau » ! Se­cond degré qui n'apparaît nulle part ailleurs ou rapprochement incongru qui a échappé à l'auteur ? Le jeu de mots fait, quoi qu'il en soit, un peu tiquer... Difficile, bien sûr, d'avoir une parfaite maî­trise dès la première œuvre mais voici, en tout cas, deux auteurs plus qu'intéressants, qu'on accueille avec plaisir et qu'on encou­rage à confirmer leurs talents. Etre une autre, pour paraphraser Rimbaud, ne mène pas à la vie sereine mais ouvre sur la fable. La fiction vit de contumace.

Jack Keguenne