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Critiques de livres

« Votre, Chr. Dotremont »

La revue L'Infini (Gallimard) qui consacrait récemment un numéro à Jean Paulhan a eu la bonne idée de publier la correspondance échangée durant vingt-cinq ans par le directeur de la N.R.F. et l'auteur des logogrammes. Au cours de l'hiver 1951-52, Dotremont, hospitalisé à Silkeborg (Danemark) avec Asger Jorn, sol­licite un texte de Jean Paulhan pour une revue qu'il envisageait de lancer. Celui-ci répond avec lenteur, et comme la revue ne verra jamais le jour, les choses auraient pu en rester là. Mais Dotremont reprend contact à l'automne 53. Peu abondante (une quinzaine de lettres de Paulhan, la plupart brèves mais encou­rageantes, un peu plus de vingt-cinq pour Dotremont), cette correspondance éclaire les relations épisodiques mais aussi ami­cales, joueuses, des deux écrivains : les problèmes de santé, les voyages, l'écriture, d'amusantes questions lexicales (« Oui, brinqueballant est très correct », J.P.) et de linguistique étrangère (voire flan­drienne) y éclipsent Cobra. Ces lettres croisées permettent également de préciser la collaboration de Dotremont à la NRF — où il publia à la demande de Paulhan quelques notes de lecture, notamment sur André Lhote, Matta, Nougé, Julien Green... — et de voir se profiler la publi­cation chez Gallimard de ce long chant d'amour et de maladie qu'est La pierre et l'oreiller. Ce sublime roman autobiogra­phique, toujours honteusement méconnu chez nous, passe peu à peu les épreuves du Comité et sortira en 1955, assez discrète­ment. (Déchirement de Dotremont confié à Paulhan, quand il sauve du pilon deux cents exemplaires, en 1961 : « Un jeune homme portait les paquets vers la voiture. Ces paquets ressemblaient à un cercueil d'enfant. Alechinsky et moi suivions la tête baissée. »)

Certaines lettres des débuts ont la même to­nalité pathétique, notamment en décembre 1953, lorsque Dotremont tente de faire ac­cepter son manuscrit. A la même époque sort en effet chez Gallimard Thomas Quercy, le roman de son père Stanislas d'Otremont... « En fait, j'ai commencé avant mon père à publier des ouvrages d'ordre litté­raire, et il est arrivé qu'on le prenne pour moi », se justifie le fils, qui n'ignore pas la similitude de situations entre Thomas Quercy et La Pierre et l'Oreiller, ni son nœud psychanalytique l. Par la suite, les liens épistolaires se main­tiennent, alternant pessimisme et clins d'œil fatalistes, malgré les distances et la maladie, et les deux derniers messages de Dotremont à Paulhan (qui devait décéder en 1968) se­ront consacrés à L'Expérience continue de Nougé, et aux « mésaventures danoises » du roman de Dominique Aury, Histoire d'O.

Alain Delaunois

1. Voir notamment la lecture comparative qu'en donne Alberte Spinette dans le n° hors-série du Courrier du Centre International d'Etudes poé­tiques, « Autour de Christian Dotremont », déc. 1982.

L'Infini, n° 55, numéro Paulhan, Galli­mard, 1996