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Critiques de livres


Françoise PIRART
L'oreiller
Luce Wilquin Editeur
1995
128 p.

Tranches de vie

« J’aime aller sous la table, on voit des choses que personne ne voit », confie le héros de L'odeur des vieux. C'est à ce petit jeu de souris dis­crète et contemplative qu'a dû se livrer Françoise Pirart dans L'oreiller, son recueil de nouvelles édité chez Luce Wilquin. Son regard aigu perce le secret derrière le masque de respectabilité, piste la dérive sous-jacente, traque les cheminements étranges d'un quo­tidien si banal en surface... Autant d'obser­vations incisives de la déglingue du réel. Imaginez des tableaux, essentiellement des portraits de couple, une apparence de bon­heur ; à chacun son détail inattendu, une chose absolument anodine par laquelle ce­pendant le malheur ne tarde pas à arriver. Un exemple : Il Giardino di Parma. C'est un excellent restaurant italien, qui séduit une clientèle de plus en plus sélecte ; Giovanni et Lucia réussissent à merveille le carpaccio di bue ou les fettucine aux brocolis ou le zabaglione au marsala. Mais il suffit d'un chien, d'un chien au regard funeste et in­quiétant qui s'installe aux abords d'Il Giar­dino di Parma, pour que le destin bascule. Pour qu'une vie si bien remplie, si satisfai­sante en façade se fissure irrémédiablement. Pour Maril et Jérôme, c'est un hibiscus qui sème la tempête dans leur vie campagnarde, si bien rodée que seule l'odeur des endives les sépare de temps à autre. Jusqu'à ce que l'hibiscus malade contamine l'air ambiant... Les solitudes s'entrecroisent aussi, avec leur lot de mesquineries et de méchancetés. La lettre qu'écrit Mrs Westmaccot à Miss Bâtes, sa voi­sine de la Queen Elisabeth Street à Brighton est un incontestable modèle de perfidie ! L'oreiller dévoile, l'air de rien, une observa­tion minutieuse des pratiques « marketing » des vendeurs de literie tandis que sont cro­quées plus loin, sans complaisances, les évi­dences de la vie de bureau de Mr Harpmann ou les désagréments de la situation de détenu. Ces petites histoires puisées dans les regards quotidiens mettent en œuvre une écriture simple, qui raconte, sans fioritures inutiles, des dérives passagères.

Une nouvelle, L'odeur des vieux, tranche sur la cohérence de l'ensemble. L'histoire ne fonctionne pas sur un nom, un caractère, une estafilade du quotidien. En quelques lignes, quelques hésitations, nous ressentons le trouble du narrateur de l'intérieur, avec la force d'une écriture qui transcrit vraiment la dérive et nous emmène au cœur du doute. Une piste à suivre.

Nicole Widart