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Critiques de livres


Jacqueline DE CLERCQ
Madame B.
Editions Luce Wilquin
2001
200 p.

Et verba volant

Les paroles volent et les écrits restent, dit-on. C'est écrit en sous-titre, le livre de Jacqueline De Clercq est un roman. Je n'invente donc rien. La qua­trième de couverture hésite à définir vrai­ment la nature du livre, oscillant entre une épopée gastronomique et les amours chahu­tées de Belle, fille d'Archibald Chique et Godelieve Vlamingen. Qu'est-ce qui sera le plus vendeur, puisque le « dos » des livres cherche toujours à allécher le lecteur poten­tiel : est-ce un remake du Festin de Babette ou un autre pauvre B. ? Le mariage de Ma­demoiselle Beulemans version 2001 ? Et le communiqué de presse renchérit, ren­force l'hésitation, en s'interrogeant : « Est-ce une vraie-fausse histoire basée sur des faits véridiques ? Le récit d'un vieux scribe qui n'a pas sa langue dans sa poche ? L’his­toire vraie d'une jeune femme très roma­nesque ? La chronique romancée d'un person­nage historique ? Un jeu de mots, une prise de bec ? Une fiction, un roman, quoi ? » La lecture appliquée des 147 pages de Ma­dame B, ne procure guère de réponse. C'est un peu de tout, comme la longue table de fromages belges de la pub télé. C'est ni chèvre, ni chou. Ni, ni. J'aime les romans, depuis ceux qui vous font des yeux de midinette, jusqu'à ceux qui vous nouent les tripes, en passant par ceux qui brossent juste le décor d'une fable. J'aime la poésie, le jeu avec le verbe, j'aime la langue française, j'aime qu'on la chipote ou l'exa­cerbe. J'aime l'Histoire, lorsqu'elle découvre des pans secrets ou insoupçonnés de notre passé. J'aime la gastronomie, les méandres de son histoire, l'éclairage que la nourriture donne sur la réalité des gens. J'aime cuisiner« avec une amoureuse sollicitude ».

Madame B. avait donc tout, a priori, pour me plaire. Désolée, vraiment, la mayonnaise n'a pas pris.

Jacqueline De Clercq manipule avec brio la langue française. Rien à redire de ce côté-là. Elle manie aussi les concepts avec élégance. Elle jongle avec l'histoire, les histoires de Bruxelles. C'est donc bien écrit, enlevé... et ennuyeux. Ce n'est ni un roman, ni une chronique historique, ni un livre de cuisine. C'est un trompe-l'œil, mais il n'apporte aucun bonheur esthétique. C'est juste un jeu cérébral. Assez indigeste. Dommage. Il y aura probablement des lecteurs qui ai­meront, c'est ce qu'on souhaite toujours à un livre. On peut imaginer des cours d'his­toire agrémentés de cette vision romancée de la guerre scolaire ou de la naissance poli­tique du Caprice des dieux. Les sociologues parisiens s'en donneront à cœur joie : Ma­dame B. leur offre sur un plateau nos que­relles linguistiques et nos luttes intestines. Et, s'ils parviennent à digérer les méta­phores gastronomiques, les défenseurs de la langue française à Bruxelles y trouveront d'excellents arguments. A vous de goûter.

Nicole Widart