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Critiques de livres


Jacques MEURIS
Magritte et les mystères de la pensée suivi de Le temps des apocalypses
Bruxelles
La Lettre Volée
collection « Essais »
1992
112 p.

Mystification

On dit souvent que lus idées du peintre se retrouvent davantage dans ses tableaux que dans ses écrits. On dit autrement qu'il est souvent heureux que l'œuvre d'un grand peintre ou­trepasse ses intentions ou ses préceptes écrits. La modernité d'un Delaunay, d'un Kandinski, c'est dans la peinture qu'elle transparaît, non dans leurs essais encore en­glués dans les faux débats du siècle précé­dent.

Magritte pareillement, clans ses Ecrits com­plets, rassemblés et annotés par André Blavier. n'a pas su transcrire les forces écla­tantes de contradiction et de rhétorique qui animent son œuvre picturale. C'est pourtant à ces écrits que s'attache l'étude de Jacques Meuris. Mais elle les appréhende de la façon la plus inutile qui soit : ce n'est ni de la critique, ni de l'exégèse, mais un simple travail de glose. Or. l'on constate à regret que cette glose est encore plus confuse, plus absconse que l'écrit qu'elle a pour mis­sion d'éclairer. Si l'on voudrait ne pas avoir à reprocher à Magritte le trouble de ses théories, étant donné qu'il n'a jamais pré­tendu les mettre en avant, et que par ailleurs il est peintre — et un grand peintre —. quelle excuse, en revanche, accorder au glossateur de ne pas maîtriser ni la rationa­lité ni les références de son argumentation ? La naïveté et le laisser-aller de ses propos, en sémiologie, en philosophie, déconcertent d'abord, puis finissent par franchement aga­cer. Aussi, dans l'envolée trébuchante de ses phrases, dont les tours elliptiques ne cè­dent en nombre que devant les propositions incises, les «  Mystères de la pensée » qu'évoqué le titre risquent bien de rester avant tout ceux de Jacques Meuris.

Néanmoins, comme ces pages ne sont pas coutumières des « descentes en règle ». il faut ménager un intérêt autre. L'essai de Jacques Meuris est illustré de reproductions de tableaux et de gravures commentées par l'auteur. Là. aussitôt, le critique d'art re­trouve toute son éloquence : sa connais­sance technique et culturelle établit ou met en lumière des rapports insoupçonnés dans ce qu'on pourrait appeler l'interpicturalité de l'œuvre magrittienne : et le plaisir, avec cette diffraction du regard et l'enseignement qui s'y prolonge, refait surface. Sans vouloir accentuer les cloisonnements, il s'agit somme toute de rendre à chacun la gloire de ses vérités : au peintre, celles de la peinture, au philosophe, celles (certes plus équivoques) de la philosophie. Tant que le critique d'art ne s'ingéniera pas à conférer aux unes les vertus et les mystères des autres, il conservera la confiance qu'on est prêt à lui accorder.

Sémir BADIR