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Critiques de livres

Lionel Marek
Tuez-moi
Paris
Verticales
2007
125 p.

Les mots pour le dire
par Michel Paquot
Le Carnet et les Instants n° 147

Les monologues littéraires ne vont pas sans susciter une certaine méfiance. Il y en a tant d'écrits, sous forme romanesque ou théâtrale, parfois remarquables mais trop souvent médiocres! Celui de Lionel Marek, Tuez-moi, le cinquième livre de cet écrivain né à Bruxelles en 1949 après trois chez Denoël dans les années quatre-vingt et un déjà chez Verticales en 2000, La Vie en deux, fait assurément partie des premiers. Ce texte dense, tendu s'élance sur un terrain d'où naît le rire, même saupoudré de tragique, pour emmener progressivement le lecteur vers de nouveaux horizons plus incertains, plus douloureux – jusqu'au retournement final.

«Vous seriez l'homme qui a tué ma sœur?» s'étonne la locutrice en accueillant néanmoins dans son appartement cet assassin présumé. Il s'agit en fait d'un accident, un suicide même selon ce conducteur de la fourgonnette qui a renversé la jeune femme. Le ton est d'abord à la comédie, Leah, la sœur aînée de Judith avec qui elle vivait, ne prétendant pas croire à cette version des faits. Une fille si pleine de vie, partie à un rendez-vous amoureux, ne peut en effet avoir envie de se jeter sous une voiture! Elle se gausse de son vis-à-vis si timide, si réservé, venu lui «imposer» son «absence».

Mais bientôt, un premier changement s'opère, Leah veut savoir ce qui s'est réellement passé. «Vous ne sortirez pas d'ici avant que tout soit élucidé», éructe-elle, «j'irai, s'il le faut, chercher les mots dans votre bouche, dans votre gorge, jusque dans votre cerveau même, et, à pleines mains, je les extirperai». Ce ne sera pas nécessaire car cet homme, homme, qui se dit amoureux de celle dont il n'a connu que le sourire aperçu juste avant le choc, prend de lui-même la parole. Et tandis qu'il s'impose, jusqu'à dominer son interlocutrice, et que sont levés les coins d'un voilà masquant une réalité bien différente que celle prioritairement décrite par la femme éplorée, l'Histoire avec un grand H s'invite dans la fiction avec le double visage de l'Holocauste et d'Israël.

Nous apprenons qu'après la guerre, le futur père des deux filles, juif Allemand, est revenu habiter sa terre natale, «le pays de ses bourreaux» déplore David, son seul fils, locuteur intermittent de ce livre qui, par téléphone, annonce à Leah que sa propre femme vient de périr dans un attentat en Israël. Vers la fin de sa vie, le vieil homme s'était trouvé comme compagnon de vie imaginaire un ancien gardien d'Auschwitz, son ancien gardien. «Je ne me suis jamais pénétré de mon personnage de victime, expliquait-il dans des soliloques que rapporte sa fille, et puisque je n'étais pas une victime, vous ne pouviez pas avantage être un bourreau, vous perdiez même votre raison d'être, mon cher Schröm, malgré vos coups forcenés pour m'enseigner l'humilité, pour me façonner à l'image de ce que l'Histoire entendait faire de moi.»

Tuez-moi est une réflexion magnifique à la fois sur l'individu face au Mal, sur la culpabilité, et sur la puissance des mots pour traduire tout ce qui macère au fond de chacun de nous.