pdl

Critiques de livres


Marginales
n° 239 et 240
Avin
automne et hiver
2000

« J'irai revoir ma Wallonie»1

Allons droit au but : je ne vois pas pourquoi la Wallonie, comme le pense et l'écrit (ou l'inverse, d'ail­leurs) Jacques De Decker, est plus que ja­mais mise en demeure de se définir et de s'af­firmer. Parce qu'elle est située à un endroit éminemment stratégique, à l'approche de l'embouchure de grands fleuves, aux frontières des nations majeures du continent, au croise­ment de ses cultures principales ? Faut-il se poser la question de la Wallonie parce que nous sommes entourés de Hollandais, de Français et d'Allemands ? Ou pour faire bonne figure, à l'heure de la régionalisation du Vieux Continent. Sommes-nous Wal­lons parce que nous le sommes ou parce que la question se pose ? Et si nous sommes Wallons, qu'est-ce que la Wallonie ? Cette question-là, bizarrement, restera sans ré­ponse après ce double numéro de Margi­nales consacré à notre nourricière mère. Un premier : « Wallonie revue, Wallonie rêvée » suivi de près, pour cause d'abon­dance de contributions, par « Wallonie, deuxième », où l'on se dit voilà le clap, ça va enfin commencer, mais là rien ne se passe, toujours rien. Rien qui se passe, c'est peut-être ça la Wallonie... A ces questions, les écrivains eux-mêmes ré­pondent par la bande, ou ne répondent pas. On peut sans danger dire avec De Decker qu'ils échappent au « triomphalisme et à l'autosatisfaction ». M'enfin, pour tomber dans le piège patriotique, faudrait qu'il y en ait un ! Il n'y a guère que quelques propa­gandistes peu au fait de ce que chez nous on appelle d'une voix nasillarde « les nouvelles technologies » pour penser aujourd'hui qu'un hymne ou un drapeau ont le pouvoir de relancer le sentiment d'appartenance à un peuple qui n'existe pas. Contribuant à Marginales, nos écrivains parlent le plus souvent de leur propre terril, qui n'est ni belge, ni wallon, mais liégeois, borain, gembloutois, ardennais, et caetera. Une illusion faite d'un assemblage de terrils, d'écoles — pas souvent buissonnière, pourtant les buis­sons c'est pas ça qui manque, Moncheu, de par chez nous — de collines, de dits et écrits en wallon liégeois, en wallon carolo, en picard dans le texte, c'est peut-être ça la Wallonie...

Un réseau d'autoroutes, un nid de pension­nés socialistes (ceci dit sans arrière-pensée mauvaise, on se reportera au texte de Javeau), une terre d'accueil et de grèves géné­rales, mais surtout, comme on l'apprend au fil des pages de ces Marginales, l'endroit où beaucoup d'écrivains wallons sont nés, ce qui laisse rêveur... C'est peut-être ça la Wallonie, un terrier d'écrivains wallons qui, s'ils ne sont pas persuadés que leur sol natal est le nombril du monde, sont pour le moins certains de ce que l'écriture est le centre de la vie publique. S'ils nous livrent les losanges du manteau d'Arlequin, le seul fil qu'ils consentent à nous laisser pour les assembler est celui de l'écriture, la seule problématique qui semble les intéresser est celle de leur propre identité d'écrivain. Peut-on leur en vouloir ? Car en fin de compte : c'est quoi la Wallonie ? Il n'est pas besoin d'aller à Houtsiploût pour se rendre compte que personne ne peut répondre à la question de façon cohérente, que ce senti­ment-là a peut-être existé chez des poètes (des « rêveurs »), mais qu'il n'existe plus de­puis longtemps chez des gens comme vous et moi. Et si ça n'existe pas la Wallonie pourquoi en faire un foin ? Pour y jucher un coq, un stupide animal qui fait réveille-matin en entrechoquant les misérables testicules qu'un démiurge ironique lui a collées en dessous du bec pour qu'il n'ose pas sortir de son poulailler ?

Si les collaborateurs ont échappé à l'écueil du « triomphalisme et de l'autosatisfac­tion », on ne peut malheureusement pas en dire autant de l'éditorialiste, qui a con­fondu ici l'absence de sentiment patriotique et l'esprit critique envers le sol natal. Qui amalgame dangereusement l'inexistence de l'extrême-droite au Sud du pays et un esprit critique collectif d'une improbabilité peu commune.

Le projet ne me révolte pas, mais il me laisse pantois, je dois bien l'avouer. Que ceci n'empêche pas le lecteur d'apprécier ces textes qui, s'il n'ont fait avancer la question wallonne qu'à coup de définition négative (comment en serait-il autrement ?), ont au moins l'immense mérite d'être bourrés de tendresse et d'humour. Peut-être sont-ce là les qualités des gens de par ici, et rien que cela vaut déjà le détour... comme la Wallo­nie. J'ai pour ma part un faible pour les contributions de Claude Javeau (Rédaction : les Wallons), de Jean-Pierre Dopagne (Défi­nition), de Gérard Adam (Le chant des wal­lons), de Nicolas Ancion (Pas plus fier d'être wallon que vivant ou bipède), et de Xavier Hanotte (Sur la place). Quant au rêve promis dans le titre de Mar­ginales, il m'a échappé. Peut-être s'agissait-il de celui d'une revue.

Pascal Leclercq

1. Ce titre est emprunté à Anne-Marie La Fère.