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Critiques de livres


Claire HUYNEN
Marie et le vin
Paris
le Cherche Midi éditeur
1998
120 p.
Avec un CD reprenant une musique composée pour le livre par Gréco Casadeus.

Les mots pour le dire

Une aventure infime racontée en vingt-quatre chapitres sobrement intitulés de leur seul numéro, voilà ce que Claire Huynen, une jeune roman­cière d’origine liégeoise nous envoie de Paris. Un roman à déguster, sens en éveil, et, pourquoi pas, le verre à la main. A tenir devant une poêlée odorante de boudin blanc aux pommes, à poser sur une table de cuisine où l'on hache menu ciboulette et basilic, a détailler sous la treille ombreuse ou à respirer dans une cave fraîche, c'est selon. Le charme opère, le plaisir est ga­ranti, l'étiquette d'un bon cru ne ment pas. Marie et le vin, le titre est simple qui pro­pose une coordination équilibrée, absolue dans son raccourci. Le roman ne proposera rien d'autre et tout. Il raconte l'histoire d une jeune femme et du vin, a love affair, Non pas une banale rencontre ou l'entrée fortuite dans quelque paradis artificiel, mais, mûrement réfléchie, la détermination de changer la vie qui vous arrive un beau matin, avec le courage et la légèreté d’en­voyer à l'oubli la vie antérieure et de » s'ha­biller d'insouciance ». Tel est le choix de Marie, professeur d'histoire dans un collège, dont on ne nous dévoilera que par éclairs la longueur des cheveux, la peau lumineuse et les lèvres désirantes, qui décide soudain de déchirer cours et cahiers, lettres et factures du téléphone. Ni repos, ni déréliction, mais la vie.

« C'est en se réveillant à cinq heures du matin que Marie décida que dorénavant sa vie serait exclusivement consacrée au vin et à la solitude » : qu'on ne s'y trompe pas, Marie n est pas de celles qui s abandonnent à l'obnubilation. L'incipit du roman n'in­duit aucune équivoque : l'abrupt mais aussi la fermeté de la décision de l'aube se décla­rent d'emblée. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent rot, dit-on. Plus finaude et d'une grande aptitude à l'impromptu, Marie se rendort, pour mieux se lever plus tard, mon enfant ! Le ton est donné : Marie ne fera plus que ce qu'elle veut dans l'ins­tant et chez soi, sans motivation, sans rétro-acres, sans projet, non plus. Dépourvue de raison, privée de ce commentaire souvent superflu que certains romanciers se croient obligés, par l'entremise d'un narrateur ou non, d'imposer au lecteur, l'entrée en li­berté est ici résolue, gourmande mais mé­thodique. Comme elle est belle cette pro­cession improvisée de Marie vers le vin : le choisir sur les rayons du Félix Potin d'à côté, lui sourire, le regarder emplir le verre, l'avaler, d'abord d'un trait, puis en le dé­gustant, le sentir couler en elle, s'en impré­gner. Elle acquiert de nouvelles attitudes, s'ouvre à d'autres sensations ; « Elle goûtait, observait, décelait les figures infinies qui s arrondissaient à son palais », Bientôt, elle découvre l'exquis rituel selon lequel il faut approcher et flatter l'amant liquide ». Ce délicat accouplement requiert l'intimité, le chez-soi, l'en-soi ; n'a-t-elle pas aussi choisi la solitude ? Curieusement, la construction d'une nouvelle vie va se dérou­ler sur deux plans. Alors que l'espace à conquérir concerne d abord la proximité, les quatre murs à éclairer, l'étagère à pavoi­ser, le vêtement à alléger, Marie se doit aussi de mesurer sa jeune indépendance à la foule anonyme. La confrontation est salu­taire tant il lui est facile de se singulariser face à une société dont elle se détache vo­lontairement et, parallèlement, agréable de « s'absenter d'elle-même » en présence des autres. Sans relancer l'irritant débat du genre (sexué) de l'écriture, le texte de Claire Huynen y met fin d'autorité. Fil, texture, tissu et l'art de la brodeuse surtout trahis­sent une perception féminine du monde, tant par son appréhension progressive que par son abord domestique, tout en intimité et par le menu.

Sans doute, la nouvelle vie se détaille, se dé­cline comme se découvre la géographie ima­ginaire er privée du vin dont le texte énonce toutes les nuances, du goût à l'ouïe, l'accord se révélant parfait entre saveurs et musiques en correspondance. Mais le point de réfé­rence est interne, loin de tout enseignement — n'en déplaise au discours de Monsieur André —, dans la ligne d'une indispensable autonomie et de l'illégitime audace d'un choix de femme. A elle le savoir de la trans­parence, le pouvoir de dire « la belle nostal­gie des déracinés », comme la saveur du vin dans la cave ensalpêtrée. A elle encore la disponibilité à « l'étrange mue » qu'exalté un parcours solitaire entre juliénas et Bach. Mais nous avions compris, dans ce récit qui mélange les régimes de la narration et de la description, et bien en-dessous du seuil dicible, qu’il s'agissait d'une initiation au bonheur.

Jeannine Paque