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Critiques de livres


Franz BARTELT et Alain BERTRAND
Massacre en Ardennes
Quorum
Gerpinnes
1999
160 p.

Variation sur le même terroir

Enseignant, auteur d'ouvrage sur Si­menon, directeur littéraire aux édi­tions Quorum, Alain Bertrand est aussi connu pour avoir publié au Temps qu'il fait en 1998 Lazare ou la lumière du jour, prose poétique qui lui a valu le prix Eugène Schmits de l'Académie. Il est re­venu dans l'actualité en sortant deux ro­mans : Massacre en Ardennes écrit en colla­boration avec Franz Bartelt (1999) et La part des anges (2000).

Ces deux livres sont très différents quant au genre et au style. Le premier est un polar noir et cynique, écrit de façon directe et ef­ficace. Le second un roman naïf, presque absurde, au phrasé travaillé à l'extrême. Dans La part des anges, Alain Bertrand mul­tiplie en effet les figures et il n'hésite pas à recourir à des métaphores baroques qui fouettent le sens commun, comme par exemple lorsqu'un balai se trouve « empalé après sa chute dans un vase à long col » (ce qui inverse la perspective, puisque le pal est en l'occurrence le balai), ou à détourner des métaphores célèbres : « Le ciel est bleu comme une orange, un gin orange avec trois glaçons et une paille dans un récipient interminable, fuselé à hauteur des reins. » (où l'on voit qu'une seconde métaphore vient concurrencer la première). A quoi s'ajoutent des métaphores filées, des néologismes (bisouter), des archaïsmes (au mitan), des termes argotiques (paluche, casse-noisettes pour dentier), des mots orthographiés à la Queneau (coquetèle) et des allitérations (le Batave par atavisme)... Le tout enrobé dans un ton oral rappelant les dialogues de Michel Audiard.


Alain BERTRAND
La part des anges
Le Castor Astral
Bordeaux
2000
136 p.

Mais, en ce qui concerne le fond, les deux livres présentent de nombreux points communs. Le plus important d'entre eux est leur cadre : l'Ardenne. Elle est décrite de façon réaliste dans le polar et de façon assez imaginaire dans La part des anges, mais, à chaque fois, les paysages n'occupent qu'un rôle très secondaire. Ce qui intéresse Alain Bertrand en Ardennes, ce sont les Ardennais. Or ceux-ci semblent être passés d'un livre à l'autre. Massacre en Ardennes et La part des anges mettent tous deux en scène un vieux paysan regrettant depuis des an­nées sa bien-aimée et détestant son voisin (ou sa voisine) au point de vouloir le (ou la) tuer. Ce vieil homme trouvera la mort après s'être lié d'amitié avec le personnage princi­pal, venu de loin à la rencontre de l'Ardennes et des Ardennais : un Parisien me­nant l'enquête dans le polar, une jeune fille en manque d'affection dans l'autre livre. En outre, les deux ouvrages parlent d'assassi­nat, d'amour et de politique. Inutile de jouer à cache-cache : j'ai préféré le roman bleu au noir polar. Celui-ci est certes construit de façon habile, ménageant de nombreuses surprises au lecteur. Mais son parti pris de violence et de cynisme est déplaisant. Pour être « hard » de façon inté­ressante, en évoquant des turpitudes sexuelles ou des manœuvres politiques hon­teuses, il faut avoir une imagination vive ou une sensibilité particulière et proposer de l'inédit. Or, l'inspiration de Bertrand et Bartelt rappelle trop les médias et leur cor­tège de scandales banalisés. On reconnaît d'ailleurs différents épisodes de l'histoire ré­cente du pays, tels que les tueries du Brabant, l'assassinat d'André Cools, l'affaire Dutroux (de façon voilée) et, de manière presque explicite, l'incendie du journal d'extrême-gauche Pour (devenu Contre et décrit sans aménité). Par ailleurs, les mo­biles des personnages sont peu crédibles. Le héros risque cent fois sa peau à la seule fin de redonner un sens à sa vie et le comporte­ment de l'assassin ne peut s'expliquer en dernier recours que par la folie. La part des anges, au contraire, propose un univers personnel et humain, original, dé­routant et enchanteur. Les variations sur le terroir ardennais d'Alain Bertrand semblent donc s'étendre sur toute la largeur de son clavier.

Laurent Demoulin