En long et au large
Zoé la Rousse fait le trottoir — ou plutôt la courtine — sur le port du Palais à Belle-Ile en Mer en cuissardes et mini-jupe, adossée à son cageot, six jours sur sept, quel que soit le temps qu'il fait. Il y a le passage, les habitués et un tarif unique sur lequel un hôtelier peu net prélève sa dîme.
Zoé, c'est Marie, au civil, quand elle remet jean, baskets et pull marine à col roulé pour s'occuper de Lili et Juju, ses jumeaux dont le père est parti sans laisser le moindre regret à quiconque, ou quand elle fait son plan-épargne pour pouvoir s'offrir (dans six mois, dans un an ?) une boutique de lingerie qui lui permettrait de changer de boulot et de se gagner une respectabilité. Jacques, lui, se donne comme un vieux con mais c'est inné, de pure race, inscrit dans ses gènes. Il traîne son spleen et son ennui dans la même ville du Palais, ce souk de cinq mille autochtones et dix fois plus dès que ça sent les vacances. Il est verbicruciste. Marie et Jacques vont se rencontrer et s'aimer, totalement, la vie entière, ce dont le roman rend compte en racontant les moments forts de cette relation. Même s'il y a aussi, entre autres, Rita Bagha qui veut se suicider, ce jeune nazi pris en auto-stop ou cet hôtelier déjà mentionné que l'on retrouve dans des circonstances douteuses. Et puis il y a le vent, la mer, un océan Atlantique qui a ses caprices et ses folies dont il faut tenir compte quand on vit à Belle-Ile... Vincent Flajac prévient d'emblée : de cette histoire d'amour, il ne racontera que les moments forts. Soit mais cela déconcerte le lecteur qui doit reconstituer une chronologie et se trouve un peu bousculé parmi des épisodes qui n'ont ni cause ni conséquence, en tout cas explicitées, l'auteur allant droit au fait. L'idée n'est pas mauvaise mais elle laisse quelques brèches qu'il faut bien colmater. Le ton général est distant, désabusé — d'époque, dirais-je, même s'il faudrait souhaiter plus d'enthousiasme — et si l'on a du plaisir à lire ce roman, il faut néanmoins constater que sa manière empêche de donner une véritable consistance aux personnages et aux événements ; je sors du livre en ayant l'impression d'avoir surfé de la première à la dernière page, ce qui laisse le désagréable sentiment que les épisodes les plus cruels ou les plus douloureux relèvent d'une banalité considérée comme dérisoire. Vincent Flajac, on l'aura compris (mais on le regrette car il en a certainement les moyens), ne fait pas dans la nuance : il va là où il veut, sans souci du détail et qui l'aime le suive... Il faut dire encore qu'il alterne les chapitres où le sexe se dévoile assez crûment et ceux où la violence se manifeste plutôt férocement (pudibonds et âmes sensibles s'abstenir !) avec une complaisance un peu paresseuse. Un premier roman mi-figue mi-raisin qui donne l'impression que l'auteur, avec un peu d'ambition (ou un sursaut d'orgueil ?), pourrait bien, à l'avenir, nous surprendre.
Jack Keguenne