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Critiques de livres


Francis DANNEMARK
Mémoires d'un ange maladroit
Le Castor Astral
1999
160 p.

Les lieux de Francis Dannemark

De nombreux textes de Francis Dan­nemark ont en leur centre un lieu — maison, école, château — et/ou une ville. Peut-être que sans eux la narra­tion ne pourrait voir le jour, que les mots resteraient dans le corps de l'auteur. Ces trois fois encore : dans les textes courts parus aux Editions Cadex, dans le (bref) roman, Mémoires d'un ange maladroit que réédite le Castor Astral (maison où l'écri­vain dirige la collection Escales du Nord). Dans La traversée des grandes eaux, conte tendre, utopique, une dame fête ses cent ans. Avec son compagnon, elle est la dernière à avoir connu la ville d'avant, celle qui se trou­vait de l'autre côté du fleuve. Des enfants lui posent des questions. Elle répond, nuance. Avant, avait existé un temps apaisé pour la ville. Un temps où tout le monde n'était pourtant pas heureux — le bonheur partagé par tous n'existe pas.


Francis DANNEMARK
La traversée des grandes eaux
Cadex
1999
28 p.

Un temps où la ville vi­vait sa jeunesse, son insouciance, avant de connaître le ravage des ans, des hommes in­téressés. De subir les affres de la sécheresse après ceux de la tempête. Les habitants alors avaient quitté la ville, traversé le fleuve, laissé derrière eux tous leurs biens. Ils n'avaient pu emporter avec eux qu'un seul objet. Ou rien, rien que l'amour qu'ils vivaient à deux. Cette ville ressemble étrangement aux hommes, avec son temps qui passe et qui ravage. Avec dans le(s) malheur(s) des plages de bonheur. Et nous d'espérer un franchissement de ri­vière, main dans la main avec l'aimé(e). Autre livre, autre ville. Dans la nouvelle « Les pluies passées », incluse dans le re­cueil, Le jour se lève encore, on découvre une ville brumeuse, vers la mer, où le temps ne semble pas passer, où un professeur vit sans vivre attend que les blessures de sa vie se cicatrisent, se referment, qu'un point lumi­neux l'attire ailleurs.


Réjane PEIGNY et Francis DANNEMARK
Le jour se lève encore
Cadex Editions
1999
44 p.

Les lieux s'emmêlent intimement au temps, à ses effets, à son es­sence. Le cœur de ce livre est d'ailleurs un poème — écrit en collaboration avec Réjane Peigny — sur le temps expliqué, métapho­riquement, à un enfant. Ce même livre s'ouvre par une nouvelle de Réjane Peigny. Elle y parle d'une femme de trente-quatre ans appelée Amina, qui a toujours de la musique disco dans la tête, et les souvenirs d'un amour d'autrefois, d'un homme qui s'était enfui pour ne pas être accusé de viol. Le château des Mémoires d'un ange, roman paru une première fois en 1984 chez Robert Laffont pourrait être érigé en symbole de l'œuvre délicate, mélancolique de Francis Dannemark. Parce que des gens y écrivent, parce qu'il regorge de littérature, parce qu'un homme s'y est retiré après avoir vécu d'aventures, parce qu'on y est toujours sur la crête des événements — la profondeur est à trouver par le lecteur. Ou n'est pas à trou­ver. Il n'y a peut-être rien à chercher, qu'à se laisser envahir, qu'à laisser ouverte l'œuvre ouverte. Comme les deux personnages cen­sés recueillir les souvenirs d'Hermann qui se contentent de ce qu'il dit, de ce qui leur tombe sous les yeux, sans chercher le secret ni le supputer ; comme Francis Dannemark qui ne nous en dit pas plus que ses person­nages n'en savent, qui en dit même moins. A nous de respecter cette position roma­nesque, de rester la curiosité suspendue, de laisser le plaisir mélancolique circuler.

Michel Zumkir