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Critiques de livres


Henri GOLDMAN
Oublier Jérusalem ?
Une approche d'Israël, du sionisme et de l'identité juive
Labor
Quartiers Libres
2002
93 p.

Ramallah, Jérusalem et Bruxelles

Après le déclenchement de la deu­xième Intifada, et devant le silence quasi total de ce qu'on appelle la Communauté Internationale sur les vio­lences massives que subit le peuple palesti­nien, se sont mises sur pied des missions ci­viles d'observation. Parties de France, et s'organisant maintenant un peut partout, notamment en Belgique, ces missions rassemblent des citoyens, « monsieur et ma­dame tout le monde », parfois accompagnés de députés ou de parlementaires, et de per­sonnalités de la société civile. Ils se rendent sur place pour apporter leur soutien aux po­pulations palestiniennes et surtout, pour té­moigner à leur retour de ce qu'ils auront vu et vécu. C'est dans ce cadre que s'inscrit Re­tour de Palestine, un recueil des témoignages des seize membres de la mission qui a eu lieu en février 2002. Un condensé de « leurs constats, de leurs émotions, de leurs ré­voltes et de leurs propositions ». Les formes d'expression sont diverses : car­net de bord, comptes rendus de rencontres avec des associations, récits intimes de mo­ments particulièrement forts ou doulou­reux, analyse de certaines questions comme le rôle des médias dans l'approche du conflit... Ce genre de publication est néces­saire, malgré certains défauts dus à l'organi­sation même des missions : elles se dérou­lent sur une période très courte, qui ne permet la rencontre qu'avec une toute petite partie de la société palestinienne, sou­vent les institutions et associations « offi­cielles ». Certains n'ont pas une connais­sance approfondie du terrain, ce qui donne parfois lieu à des affirmations aussi cu­rieuses que réductrices, comme celle du membre de cette mission qui voit dans le port du keffieh par un enfant le signe qu'Arafat est son idole ! Il reste que les in­formations qu'on peut lire ici sont essen­tielles et doivent être diffusées. Les témoins décrivent l'humiliation des contrôles aux check points, « l'Apocalypse qui est le lot de milliers de Palestiniens dans leur propre pays ». Ils voient la destruction systématique des infrastructures (écoles, hô­pitaux, canalisations d'eau, bâtiments pu­blics...) de la ville de Tulkarem, prospère jusqu'il y a peu. Dans le village de Husan, en zone occupée, ils voient le champ de mines qui sépare les Palestiniens de la colo­nie toute proche, implantée sur des terres confisquées au village... Ils discutent avec des femmes qui déconstruisent le cliché si répandu dans nos médias des « mères qui envoient sciemment leurs enfants au mar­tyre ». Ces enfants qui n'ont plus d'école, dont le père est arrêté en pleine nuit, dont le copain est blessé par les balles israéliennes, dont le frère n'a plus de travail, oui, ils lan­cent des pierres sur les soldats israéliens. Sans que les mères puissent les en empêcher. Cet acte est devenu « une façon de conti­nuer à exister ».

Ce recueil contient aussi des informations précises sur les conséquences dramatiques de l'occupation militaire israélienne. 55% de la population active est au chômage, 63 % des Palestiniens vivent dans l'extrême pauvreté. Le nombre des sans abris aug­mente chaque jour du fait des destructions de maisons, les conditions générales d'hy­giène et de malnutrition sont terrifiantes, faute de matériel et de médicaments, les blessés, de plus en plus nombreux ne peu­vent être soignés, quand ils ne meurent pas bloqués aux check points... Rien de nouveau, direz-vous, tout le monde sait cela. C'est précisément contre le silence scandaleux de ceux qui savent que s'érigent ces témoignages.

Le livre se termine sur une présentation du regard que portent certains historiens israé­liens sur les causes de l'exode arabe de Pales­tine en 1947-1949. Les autorités israé­liennes ont toujours nié leur responsabilité dans la fuite de centaines de milliers de Pa­lestiniens lors de la création de l'Etat d'Is­raël. Leurs manuels d'histoire l'imputant notamment aux appels des pays arabes voi­sins qui auraient fait évacuer les populations pour lancer des opérations militaires contre le jeune État. Les recherches de ceux que l'on appelle les « nouveaux historiens » israé­liens livrent une tout autre version des faits.

Oublier Jérusalem

C'est aussi du conflit israélo-palestinien que part le livre de Henri Goldman Oublier Jé­rusalem ? Du constat que « les Juifs y sont embrigadés au service d'une mauvaise cau­se ». Il tente d'expliquer les retentissements de ce conflit en Belgique et particulièrement dans le qu'on appelle assez abusivement la « communauté juive ». Son approche est très personnelle, intime même. Il part de son histoire familiale, de son identité, de sa construction politique, resitue aussi des concepts aussi employés que méconnus comme le sionisme ou l'identité juive. Un livre très juste, courageux, notamment dans ses positions sur les rapports qu'entretient la diaspora juive avec l'Etat d'Israël. Si Goldman parle de lui, c'est par honnêteté intellectuelle. Pour dire au lecteur « de quel lieu » il nous parle. Par ses parents, il vient d'un milieu juif communiste, originaire de l'Est de l'Europe, un milieu « qui a ressenti plus que tout autre la tension entre la culture du spécifique et l'aspiration à l'universel ». Non pratiquants, non sionistes, ses parents ne lui ont pas non plus transmis leur langue maternelle, le yiddish. Ce n'est qu'à dix ans que l'identité particulière qui n'avait pas de sens à ses yeux, « Juif », lui est assenée dans la cour de récréation. Aujourd'hui « sans honte ni fierté qui n'ont ni l'une ni l'autre de raison d'être », il est Juif, intimement, vivant à la lisière de la « communauté » en Bel­gique. Cette communauté qu'il voit d'ail­leurs comme tout hypothétique, plus comme « une commodité de langage passe-partout ». La plupart des Juifs sont laïcisés et ne consti­tuent plus une minorité visible. De plus ils ne sont plus soumis à une pression stigmati­sante et discriminatoire les forçant au repli. Le « noyau dur » communautaire est très res­treint, ce qui ne l'autorise donc pas à parler au nom de tous : « la communauté juive pense que... » « Hier, toute la société nous renvoyait à notre judéité », dit-il. « Au­jourd'hui, elle ne dépend plus que de nous. » Situation difficile : l'espace où les Juifs avaient pu développer ce qui ressemblait à une culture nationale, en Europe de l'Est, a été irrémédiablement détruit. Ils n'ont plus d'espace de référence, « leur patrimoine tient tout entier dans leurs bagages ». Hormis le respect des fêtes principales, les traditions, la religion, la culture se fondent, « s'assimi­lent » à la société ambiante. Le rôle du lien entre les différentes composantes de la « communauté » a alors été donné à Israël, érigé « centre du peuple juif». Construction, selon Goldman, qui ne ré­pond plus à la réalité actuelle. Il l'explique en retraçant l'histoire du sionisme, et en ba­layant par ailleurs la fable selon laquelle il se­rait l'expression de l'espoir du retour sur la terre sacrée, qui aurait permis à un peuple de survivre 2000 ans aux persécutions. Goldman rappelle que le sionisme comme projet de constitution d'un Etat juif n'a jamais été un mouvement majoritaire : les Juifs d'Eu­rope préférant émigrer aux Etats-Unis, la plupart des émigrations massives ont été or­ganisées sans possibilité de choix par l'État israélien (citant notamment les exemples des juifs du Yémen, d'Irak, de Russie...). Il trace l'évolution des diverses interprétations du sionisme (promotion de l'émigration et constitution d'un Etat juif, idéologie offi­cielle de cet Etat, discours communautaire hégémonique au sein de la diaspora), qui se confondent aujourd'hui avec l'expression d'un nationalisme israélien, au sein duquel les « colombes » et les « faucons » s'affron­tent. Et, dit-il, dans le contexte actuel, le sionisme dont se réclame l'Etat israélien a bon dos, il n'est qu'un « masque sémantique » qui camoufle la vérité : depuis 35 ans l'Etat mène dans les territoires occupés une poli­tique coloniale qui « s'apparente de plus en plus à l'apartheid sud-africain ». Est-il encore concevable, demande-t-il, qu'un Etat se défi­nisse sur une base ethnique ? Ne pourrait-il plutôt devenir un « modèle d'accueil pour tous les opprimés », qui pourraient entre autres être Juifs ?

Selon lui, la diaspora n'est plus aujourd'hui majoritairement sioniste : elle se réapproprie une culture et une histoire et s'éloigne d'une société israélienne de droite et armée qui lui ressemble de moins en moins. Les dirigeants israéliens continuent cependant de parler au nom du peuple juif, affirmant la solidarité de la diaspora avec l'Etat d'Is­raël, soutenus en écho par des responsables d'institutions communautaires ou d'incon­ditionnels de la droite israélienne qui pré­tendent parler au nom de l'ensemble de la communauté. Pour Henri Goldman, c'est notamment là qu'il faut chercher l'explica­tion d'actes antisémites commis par de jeunes Arabes à Bruxelles, jointe à l'exclusion socio-économique qu'ils subissent et à la persistance de stéréotypes hérités de la tradition musulmane où le Juif n'est pas une figure sympathique. L'amalgame « Juifs = Israël = Sharon » est pour lui, cultivé d'abord par le « marketing de la politique israélienne ». La façon dont la « commu­nauté » juive se positionne, comme un « lobby israélien », en jouant sur la victimisation, en « arrosant la presse de protesta­tions pour chaque mot de travers », a aussi ses conséquences. Quant à la « déferlante antisémite » clamée par certains responsables communautaires, intellectuels fran­çais et dirigeants israéliens, Henri Goldman parle de délire et rappelle qu'il « vaut tou­jours mieux être juif aujourd'hui en Eu­rope, qu'arabe, turc ou noir ». Oublier Jérusalem, ce serait l'aimer, arrêter de vouloir y planter son drapeau. Retrouver le sens mythique que lui donne la tradition juive, celui d'« une aspiration universelle de réconciliation et de justice, pour tous les humains de la planète ».

Laurence Vanpaeschen

COLLECTIF, Retour de Palestine, Mission d'observateurs civils, Ed. Vista, 2002.