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Critiques de livres

Nadine Monfils
Nickel blues
Paris
Belfond
2008
215 p.

Jeu de massacre
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants n° 152

Un des grands plaisirs de Nadine Monfils — une grâce aussi — c'est de touiller avec son doigt dans l'horreur la plus noire et puis de sucer ledit doigt comme un sucre d'orge avec un sourire de petite fille bien sage et au coeur tendre. Après Babylone dreams (prix Polar 2007 au salon de Cognac) dans Nickel blues, la Bruxelloise de Montmartre confirme une infidélité (provisoire?) à l'inspecteur-tricoteur Léon (aux exploits célébrés sur grand écran et, paraît-il, étudiés dans les lycées hexagonaux). Dans ce roman-ci, éminemment trash, elle concilie finement la violence qui, à dose aussi massive, se conjure elle-même, avec une approche à la fois outrancière et pourtant signifiante des mal-être et de certaines dérives d'une adolescence qui n'est ni pire ni meilleure que celle de tous les temps, mais méchamment marquée par le contexte délétère de l'époque. Ralph l'aîné et son frère Tony refusent d'accompagner en vacances leurs petits bourgeois de parents qui les gonflent considérablement. Restés à Bruxelles, ils organisent une nouba qui transforme la maison en décharge d'ordures. Avec en prime le décès inopiné de Tichke, le canari fétiche de leur mère, cramé sur un grill dans un vieux soutien-gorge. Glandeurs et fainéants, ils mettent en oeuvre le projet génial initié par Ralph — penseur et leader du duo — de kidnapper une inconnue et de l'obliger à réhabiliter les lieux avant le retour des parents et de la grand-mère : l'idole de Tony, Brusselesse bon teint, férue de proverbes branques et qui se pocharde à la gueuze. Au cours d'une expédition pour le moins hasardeuse, ils enlèvent Rita, la concierge d'une villa qu'ils prennent pour la propriétaire, la contraignent au récurage de leur maison avant de la séquestrer pour exiger une rançon prometteuse d'un lointain farniente au soleil. Dans cette roue de la fortune va se loger une pleine brassée de bâtons majuscules et meurtriers avec, en apothéose, la découverte du massacre sauvage des parents revenus de leurs vacances et de la décollation de la chère grand-mère dont la tête partage l'aquarium avec le poisson rouge lui sortant de la bouche... Une relique que Tolly, par dévotion, s'obligera à garder avec lui. De désastre en désastre l'aventure suit son train d'enfer pour finir quand même sur un happy end auquel ne résiste pas le romantisme en creux de Nadine Monfils et dont, bien entendu, ne profiteront que les survivants. En dépit de leur conduite terrifiante et d'une escalade où la fatalité prend des allures de tragédie grecque, on devine, derrière le malin plaisir de l'auteur, le fond de compassion qui l'anime envers ces bourreaux excessifs et victimes d’eux-mêmes. D'ailleurs comment un jeune qui trimballe la tête de sa grand-mère dans un aquarium pourrait-il être tout à fait mauvais?