pdl

Critiques de livres

Soleil charnel
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 151

Ceux qui ont déjà lu Marcel Moreau, «au long de [s]a cinquantaine d'ouvrages publiés», savent qu'il y a chez lui «un désir de mots, construit sur le modèle des désirs de femmes» qui se traduit par une manière d'urgence dans laquelle le corps n'est plus en mesure «d'attendre son envahissement par un sens». Autant dire qu'il y a deux désirs de même nature «prédestinés à s'exciter mutuellement, jusqu'au vertige» et qu'il s'agit de profiter de la chance «de ne pas être immortel pour occuper toute sa démesure, ici-bas». Le livre, en quelque sorte, ex-prime une libération, «corps verbal dans corps charnel», en plaquant «du style sur des sécrétions», mais Moreau n'en finira-t-il «donc jamais avec ces écritures qui se relèvent plus vite qu'elles ne s'écroulent» et s'expriment en forme de dernières volontés comme si la Raison qui le gouverne (avec «R» majuscule) «allait mourir, d'un instant à l'autre»

Rimbaud voulait, lui, fixer des vertiges, Moreau tente (plus modestement?) de mettre des mots sur les paroxysmes, «de m'autoriser à vivre dans ma chair, en accord avec mes instincts», même si cela ne se peut sans un certain «désordre transgressif». Pour osée qu'elle soit, cette quête – qu'au passage on lui sera reconnaissant de mener sans emphase – ne s'avère pas moins, d'un livre à l'autre, un peu répétitive. J'ai beau considérer que la vie est essentiellement faite d'événements qui reviennent – au mieux, se renouvellent – ou apprécier le style flamboyant, je ne peux m'empêcher de penser que Moreau mène une course, perdue d'avance, des mots à la poursuite d'émotions irréductibles au langage, ni m'irriter à l'idée que ces femmes, célébrées et glorifiées pour le désir qu'elles suscitent, demeurent chair anonyme – dont l'auteur dit la platitude lorsque le goût lui en passe (je ne voudrais, à aucun moment, être l'une d'elles).

Il n'en reste pas moins que Moreau laisse filtrer, à travers sa prose, une expérience qui donne le désir d'exacerber le contenu de chaque instant, d'aller vérifier, non pas la contradiction, mais une existence exprimée par oxymoron – ce côté solaire de la nuit – qui, soit qu'elle nous hante soit qu'elle nous habite, nous ressemble peu ou prou. Ce que Moreau clame réveille ce que nous cherchons trop souvent à taire, ou à étouffer. Et puis, on retiendra de ce livre qu'il tente de proposer le bilan d'une vie – qui brille rarement par son équilibre» – ou, pour mieux dire à ce qui a donné élan à cette carrière. Il revient sur son enfance boraine et sa cancreté», ses études interrompues à 15 ans, son père, couvreur, décédé suite à une chute, qu'il considère comme un «antihéros» – lui, ce prolétaire, tellement opposé aux personnages chevaleresques des nombreuses lectures dans lesquelles le jeune Moreau s'isolait. Et puis sa mère, qui veilla à ce qu'il ait un avenir de «col blanc»; elle fut la première aimée, la première quittée, et celle à l'aune de qui il mesure désormais toute gestation créatrice. Quand Moreau se confie ainsi, il touche.

 

Marcel Moreau, Insolations de nuit, illustrations de Pierre Alechinsky, Bruxelles, La Pierre d'Alun, 2007, 80 p.