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Critiques de livres


Nathalie GASSEL
Eros androgyne
précédemment publié par L'Acanthe
réédité chez Le Cercle
15 chemin des Courtilles
F-92600 Asnières
92 p.

Erosophie

Un corps. Un corps qui s'observe, dans son intimité, un corps qui se dit dans toute la crudité de son in­timité, un corps qui s'enflamme et s'écrit s'enflammant, qui guette et se décrit guet­tant, prenant pour axiome que le fait de se guetter implique celui de se décrire guet­tant, un corps à l'affût de toutes les sensa­tions qu'il connaît déjà et veut connaître à nouveau, hésitant devant les sensations qu'ils connaît et ne veut plus connaître, avide de sensations autres, un corps qui cherche à comprendre l'effet de nouvelles sensations sur lui-même, un corps. Des corps. Partout. Un corps entouré de corps. Un corps cherchant à être entouré d'autres corps. Un corps qui observe les autres corps l'entourer, qui observe et décrit l'effet de l'entourage d'autres corps sur lui-même ; un corps qui cherche sans cesse, et ne se trouve qu'en trouvant d'autres corps, de nouveaux corps. Un corps avide d'exotisme, d'autres façons de se vêtir, de se dévoiler, d'exister et de coexister des corps. Un corps à la recherche du soleil, un corps qui se re­définit en tant que soleil, solaire, et qui ce faisant donne un nouveau sens à soi et au soleil lui-même, une nouvelle signification à son propre exotisme.


Nathalie GASSEL
Musculatures
Le Cercle
217 p.

Masculin à outrance. Féminin à outrance. Cherchant la masculinité des femmes dans la fermeté d'un muscle, dans la puissance, la féminité des hommes dans la rondeur d'une couille, dans une courbe ou un trou, scru­tant sa propre masculinité, l'exaltant, jouis­sant de sa propre féminité. En quête de jouissance, matin, midi et soir. Comparant les diverses jouissances, celles du matin, celles de midi, celles du soir. Sentant sa chair, fouillant sa chair, descendant au plus profond d'elle, dans ses propres entrailles, en proie à l'obsession des entrailles des autres, au plus profond de leur chair, tâtant, masturbant, mordillant, défonçant. Dans une fureur indicible, à la recherche de sa bestialité, de sa tension la plus forte, la plus phallique, de son souffle et s'embal­lant, affirmant sa puissance et son pouvoir sur d'autres, les niant. Se niant. Je m'arrête ici. « Quand les images n'exci­tent pas, elles écœurent, saturent, quand elles ne concernent pas, elles salissent d'un vide étrange », remarque Nathalie Gassel dans Musculatures. Que ceux que ces mal­heureux paragraphes n'excitent ni ne con­cernent me pardonnent, mon intention n'est pas de salir ou d'écœurer, mais de donner un maigre aperçu, une sorte de ba­layage de l'émotion que j'ai éprouvée en li­sant ce livre. Les commentaires sont fades, à côté de la force des images et des mots qui se déroule inexorablement, de manière quasi obsessionnelle.

Une femme athlète, consciente de sa supé­riorité musculaire sur beaucoup d'êtres hu­mains, raconte les entreprises de sa sexua­lité. Ça pourrait faire l'objet d'un film porno, pourtant il ne s'agit pas de cela. C'est complètement différent. Les mots sont crus, sans atours, son style est direct, mais la narratrice accompagne sa conti­nuelle évocation d'actes sexuels d'une ques­tion existentielle. Je dis existentielle, mais il faut le prendre dans le sens philosophique du terme : à la manière dont un philosophe s'interroge sur l'essence de ce qui est, en contournant l'être, en le présentant en di­verses situations, la narratrice ne se lasse pas de chercher l'essence de son plaisir. A tra­vers ses multiples manifestations. Et elle l'écrit comme on bande ses muscles, en ath­lète : le texte est dur et lisse, noueux comme cette chair travaillée par les heures d'entraî­nement au gymnase.

Ce n'est d'ailleurs pas la seule connivence de Nathalie Gassel avec les philosophes. Le texte est notamment parcouru de références à Georges Bataille : dans le vocabulaire où l'on retrouve des mots comme souveraineté, excès, consumation ; mais aussi dans des phrases entières, comme celle-ci, qui ne passe pas inaperçue auprès du lecteur de l'Erotisme : « Tout érotisme est entaché d'une présence de mort, menace du corps qui se désagrège, souffre et disparaît, em­portant avec lui l'entièreté de l'être. » Ce­pendant, une différence fondamentale les oppose : si le philosophe, malgré ses affir­mations, reste dans une vision plutôt noire et salissante de la sexualité, Nathalie Gassel tend à montrer l'implacable beauté de ré­gions marginales du plaisir. Avec puissance, on n'en sort pas indemne. « Deviens ce que tu es », c'est l'un des en­seignements les plus vieux, mais aussi l'un des plus féconds de notre tradition philoso­phique. Et si Musculatures invente une sorte de sagesse du plaisir, d'érosophie, son au­teur complète l'axiome par : « sans conces­sion ».

Pascal Leclercq