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Critiques de livres

Chantal Myttenaere
Panser le deuil
Grolley
L’Hèbe
coll. Paradigmes
2007
156 p.

Pédagogie et souffrance
par Thérèse Allard
Le Carnet et les Instants n° 150

Dans une école, des étudiants futurs éducateurs et un professeur se trouvent confrontés à l’annonce d’un homme qui vient de mourir de façon inattendue. Cet homme était un des piliers de l’école : l’homme à tout faire, celui que tous croisaient plus d’une fois par jour dans l’école, celui qui hier encore était le confident, le donneur de leçon, le père substitut. L’émoi est trop grand pour commencer le cours. Chantal Myttenaere, grande habituée des ateliers d’écriture, propose à ses étudiants de consacrer la journée à un travail d’écriture dans le but de faire face à la situation.

Ainsi est né Panser le deuil. Cette journée de grande détresse durant laquelle ses étudiants ont pu s’exprimer en groupe de façon créative, l’auteur a pensé de façon judicieuse à la présenter sous la forme d’une approche structurée dans un livre «outil». Si l’on ajoute au titre du livre : atelier d’écriture pour des collectivités en état de crise, nous avons l’essence de cette approche dont les ingrédients principaux sont le dessin, les mots et le groupe.

L’atelier comprend des actions aussi diverses que dessiner, découper des bandelettes où les étudiants ont inscrit une caractéristique physique, un objet, une qualité et un défaut de la personne morte, raconter une anecdote, nommer les rôles tenus par la personne. Puis vient l’écriture proprement dite d’une histoire, sa lecture. Et en groupe, l’écriture d’un texte souvenir qui sera envoyé à la famille. On est loin de l’atelier d’écriture classique, car Chantal Myttenaere y intègre une série d’éléments à partir desquels les étudiants peuvent créer l’image d’un personnage qui n’a jamais vraiment existé, mais qui est le résultat de la représentation personnelle de chacun d’eux. De la sorte, la peine individuelle est répartie entre tous.

On a fait apparaître un personnage collectif pour accéder à un endroit où la douleur est moins tranchante. Et l’objectif est atteint : les étudiants sont plus sereins. En outre, l’atelier s’avère formatif du point de vue éthique parce que le personnage décédé apparaît, suite au travail de groupe, comme un être complexe. Il n’était ni parfait ni totalement bon ni complètement mauvais. L’atelier aura développé des aptitudes à la pensée complexe, aux jugements nuancés, au respect des points de vue différents. Après la douleur, le plus important ne sera-t-il pas d’exercer ces aptitudes sur les vivants, ceux qu’ils auront à éduquer?

La mort d’un être très proche peut-elle être abordée de cette manière? Le deuil peut-il vraiment être pansé? Penser le deuil? Guérir d’un deuil? Les témoignages qui se trouvent dans la quatrième partie du livre posent ces questions indirectement. Ils viennent, et c’est dommage, un peu en contradiction avec la démarche présentée. Mais tous mettent en avant les vertus libératrices de l’écriture pour exprimer ses émotions.

Panser le deuil est un exemple de libération par l’écriture, mais d’autres démarches existent, bien sûr. Par contre, cet ouvrage se présente comme une opportunité pédagogique dans des situations de crise liée à la fin de quelque chose. L’auteur y voit même des occasions de travail avec des personnes fragilisées par la vie en situation de grande solitude.