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Critiques de livres

Joseph Ndwaniye
La promesse faite à ma sœur
Bruxelles
Éd. Les Impressions nouvelles
coll. For intérieur
2006
224 p.

Quand Dieu se met aux abonnés absents
par Laurence Vanpaeschen
Le Carnet et les Instants n° 146

Joseph Ndwaniye est rwandais, il a poursuivi en Belgique sa formation d'infirmier commencée à Kigali, y vit depuis une vingtaine d'années et travaille aujourd'hui dans un grand hôpital bruxellois. Jean, le protagoniste de son premier roman, a suivi le même parcours, sans doute nourri en partie de la biographie de l'auteur.

Si La Promesse faite à ma sœur parle du génocide qui a ravagé le Rwanda en 1994, il se démarque des nombreux témoignages qui ont été publiés depuis lors. Au travers du retour de Jean, c'est le Rwanda d'avant et d'après l'horreur qui est raconté, et les conséquences parfois ambiguës, mais toujours tragiques, du génocide sur la vie de ceux qui lui ont survécu.

Ce n'est que près de dix ans après les événements que Jean trouve enfin l'argent et peut-être aussi le courage nécessaires pour retourner au pays et tenter de trouver réponses aux questions qui le torturent depuis que son pays «avait touché le fond, en avril 1994 […] sous les yeux du monde entier qui ne s'était que timidement indigné» : pourquoi sa sœur Antoinette at- elle été assassinée avec son mari et ses enfants, et qu'en est-il de la disparition de son frère jumeau?

Ce sont les abazimu, esprits des défunts qui l'accueilleront sur sa terre natale. Tous les morts de sa famille lui apparaissent, et le père, qui parle en leur nom, le charge de retrouver son frère, qu'il croyait mort. Il retrouve ensuite sa mère, elle bien vivante, avec qui il tentera de rompre les tabous et les pudeurs traditionnelles, et qui lui apprend l'emprisonnement de son jumeau soupçonné d'avoir pris part au génocide.

Lors de son périple vers la prison, dans les rues de Kigali et sur les collines de son enfance, Jean retrouve d'anciens compagnons, qui lui égrènent le sinistre chapelet des disparus, sous les machettes ou victimes de «la maladie du siècle». Les vies ruinées par la douleur d'avoir perdu les êtres aimés, la culpabilité d'être en vie et de n'avoir rien pu faire, les rancœurs et le désespoir insurmontables envers les bourreaux et ceux qui les ont laissés faire. «La violence de la tragédie continuait de miner le pays malgré plusieurs années écoulées. Je l'avais reçue en pleine figure. Ses cicatrices se voyaient partout, sur les visages meurtris dont les expressions suffisaient pour expliquer ce que les mots hésitaient à dire. Chaque colline et chaque ville avaient leur signature du passage de l'horreur.»

Au terme de son voyage, Jean a tenu la promesse faite à son père, il a retrouvé son frère et entendu sa version des faits, ne pouvant plus que le laisser à la justice des vivants, les tribunaux populaires de la gacaca, en espérant qu'elle reconnaîtrait son innocence clamée.

Il lui restera à accomplir celle faite à sa sœur, quand elle lui apparaîtra à nouveau, peu après son retour à Bruxelles. Une promesse bien difficile à tenir : celle de trouver les responsables de la tragédie et d'empêcher que cela se reproduise jamais… Un serment qu'il fait pourtant, pour démentir le proverbe rwandais qu'il a tellement vécu dans sa chair en Europe, qui dit que «quand ton voisin souffre d'un point de côté, sa douleur ne t'empêche pas de trouver le sommeil .