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Critiques de livres


Françoise HOUDART
...née Pélagie D.
Luce Wilquin éditrice
1996
144 p.

La vieille dame et la mer

Elle s'appelait Pélagie Dépluvier. En se mariant, elle est devenue Ma­dame Oscar Galant. Comme toutes les femmes, elle y a laissé une partie de son identité. Elle réussira à la retrouver, vers la fin de sa vie, et signera à nouveau de son nom à elle. Elle s'émancipera « de sa vie or­dinaire en camp retranché » et se retrou­vera. Oh, pas avec des actes héroïques, juste avec ce qui peut passer pour des extrava­gances de la part d'une vieille dame discrète : passer son permis de conduire à septante-deux ans, pendant la maladie de son époux ; acheter une Ford rouge avec l'argent de l'héritage (Oscar s'est suicidé, il ne supportait pas l'amoindrissement phy­sique) ; et surtout pour la première fois : aller voir la mer comme elle en a toujours rêvé si fort. Elle n'en disait rien à personne. Et là, à septante-cinq ans, quand le roman commence, elle attend que le Prins Philip lâche ses amarres. Elle dit : « J'ai osé... », s'étonne d'avoir prononcé ces mots-là. Ils éveillent en elle des souvenirs, des constats. Comme les phrases de sa (non-)conversation avec Maximilien, l'homme devenu son compagnon de traversée, ces phrases qui ne sont que des amorces pour ses monologues intérieurs, pour l'apparition de ces « images persistantes qui traversent la vie quels qu'en soient les remue-ménage, les délires, les dé­luges. » Des images de classe, d'adolescence, de mariage, d'accouchement, d'efface­ment... Des images communes à tant de femmes. Sauf-que Pélagie a décidé que le rêve qui la faisait tenir debout deviendrait réalité. Pélagie Dépluvier ne se rend pas Angleterre, elle ne va nulle part, elle est sur la mer, dans la mer... Et nous d'être ému par cette histoire (pas si) ordinaire, par l'écriture douce et mélancolique de Fran­çoise Houdart qui nous rend son héroïne (nous avons osé le mot) si familière. Elle a cru tellement fort à sa Pélagie qu'elle la ren­contre un jour d'été, dans les rues de Metz. Cette vision, elle l'a décrite à Luce Wilquin, son éditrice, dans une missive que nous pouvons lire dans le recueil collectif, Lettres à Luce. Celui-ci a été conçu sans « autre but que de concrétiser l'impalpable : l'unité de ton et de pensée qui signent une véritable maison d'édition ». Pour ce faire, Luce Wil­quin a demandé à ses auteurs de lui envoyer une lettre de quelques pages sur un thème de leur choix. Vingt-deux ont répondu à l'appel. Ils y sont allés d'une petite bafouille en son hommage (Françoise Houdart, Fran­çoise Lison-Leroy, Michelle Fourez...), de petites fictions (Vincent Magos, Roger Fou­lon, Jacques Mercier, Jacques de Decker, Carlo Masoni...), d'interrogations sur la lit­térature qu'ils veulent avant tout lisible et axée sur les personnages (Gérard Adam, André Beem...)... Le recueil se termine par une présentation des auteurs et de leurs livres publiés par Luce Wilquin. Ne serait-ce donc bien qu'un catalogue ?

Michel Zumkir

Collectif, Lettres à Luce, Luce Wilquin éditrice, 1996, 192 p.