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Critiques de livres

Jacques Neirynck
La mort de Pierre Curie
Paris
10/18
Grands détectives
237 p.

La raison d'État
par Joseph Duhamel
Le Carnet et les Instants n° 148

Dans les premières années du XXe siècle, la République française est fragile, contestée par une droite voulant se venger de l'affaire Dreyfus. Le moindre fait divers peut être exploité, devenir une affaire mettant en danger les institutions républicaines. Jacques Neirynck choisit cette époque pour proposer deux «polars historiques» dans la célèbre collection «Grands détectives». Raoul Thibaut de Mézières, polytechnicien brillant, se retrouve, suite à une intervention décisive qui évite un scandale à la mort du président Félix Faure, «égoutier», «préposé aux basses œuvres de la IIIe République ». Il est chargé d'appliquer la maxime : «Le pouvoir a des raison que la République ne connaît pas.»

Deux enquêtes sont parues à ce jour. Le roi Édouard VII d'Angleterre a-t-il commis un crime dans la maison de celle qui fut la maîtresse de Félix Faure, dangereusement présente à ses côtés lorsqu'il est mort «comme Pompée» (Le crime du prince de Galles)? En pleine rivalité exacerbée entre France et Allemagne, la mort de Pierre Curie est-elle un accident, un suicide, un meurtre? Cette mort donne en tout cas à l'Action française le moyen de s'en prendre à sa femme Marie, l'étrangère, et par là de déstabiliser les institutions (La mort de Pierre Curie).

Le crime du prince de Galles
Paris
10/18
Grands détectives
231 p.

Les livres sont à la croisée des genres. Roman historique où tout un contexte politique, social, culturel est finement rendu, où l'historien Neirynck se montre aussi un moraliste de la société, son récit étant ponctué de considérations ou formules, parfois assassines, qui mettent l'anecdotique en perspective : «L'alexandrin joue un rôle décisif dans l'esprit français : il dispense de réfléchir par son rythme propre, en ordonnant les mots pour en fabriquer une évidence…»

Roman policier, d'un enquêteur amené non pas à trouver le coupable, mais à empêcher que ne se répandent des informations ou des interprétations contraires aux intérêts de l'État. Qu'importe la vérité, pourvu que ce que l'on présente comme tel soit acceptable. Et donc, aussi brillant soit-il, le comte Raoul se voit parfois dépassé par des manœuvres complexes et retorses fleurant bon le double jeu ou l'intoxication. Les personnages secondaires correspondent chacun à une situation sociale particulière. Épinglons le préposé au laboratoire, misérablement manipulé dans sa naïveté par les idéologues comme Léon Daudet. Ou encore, le personnage d'Arsène Champigny, figure double, à la fois maître d'hôtel de Raoul, et son second chargé des (encore) plus basses besognes, ancien policier et sans doute ancien malfrat. Le couple est à l'image du nouveau visage d'une société française où la noblesse, de moins en moins dominante, est contrainte d'évoluer et d'accepter des comportements peu recommandables mais «efficaces», si elle ne veut pas être évincée de tout pouvoir.

Cette situation trouve un original équivalent linguistique. Le binôme Raoul-Arsène se constitue à partir d'un contrepet, résumé parfait de leur situation sociale respective et d'une nécessaire collaboration de classes : «Il y a si peu de différence entre un matheux confiant et un maffieux content.» Mais le contrepet est peut-être aussi plus fondamentalement une belle image du travail de l'enquêteur. «Pour une fois, Arsène déclencha un sourire chez Raoul, ébloui par la virtuosité langagière de son acolyte. Son métier, à lui Raoul, était-il autre chose qu'un débat incessant entre des objets et des faits confondus dans les discours contradictoires de témoins incertains?» Cela permet à Jacques Neirynck d'agrémenter le texte d'exemples de cet exercice typiquement français. Notons qu'il ne donne la solution que s'il ne contrevient pas aux règles de la bienséance. Dans les autres cas, la permutation n'est pas énoncée complètement. Ainsi, vautil mieux encaisser entre deux cuites ou…? Ces contrepets, les formules et le style, jouant, juste ce qu'il faut, de l'emphase et de la grandiloquence (la rhétorique de l'époque l'exige), font de ces livres un régal linguistique, qui sert bien l'ingénieuse intrigue policière.