pdl

Critiques de livres


Denys-Louis COLAUX
Nelly Kaplan, portrait d'une flibustière
Dreamland
2002
160 p.

Nelly et moi

Ce n'est pas une biographie, c'est un exercice d'admiration, presque un chant d'amour. A dix-sept ans, Denys-Louis Colaux découvre La fiancée du pirate, et c'est le choc. Marie/Bernadette Lafont lui fait « l'effet d'une pyromane » et le film bouleverse à jamais sa conception de la femme. Le Nelly Kaplan qu'il publie au­jourd'hui rend compte de cette stupeur et de cette exaltation. Avec un enthousiasme contagieux, Colaux y mêle en un désordre savamment concerté envolées lyriques, frag­ments d'entretiens réels ou imaginaires, ex­traits de correspondance, documents de tra­vail, témoignages de passants considérables (Abel Gance, Breton, Soupault, Mandiar­gues, Masson, Picasso, Dali...) qui tous succombèrent au charme incandescent de la belle flibustière. Mieux qu'un lourd pavé biographique à l'anglo-saxonne, cette ap­proche rend justice à son modèle. Tel un kaléidoscope, le portrait déploie en toutes ses facettes l'œuvre et la personnalité indis­sociables de celle qui n'est pas seulement la cinéaste de la mémorable Fiancée, mais aussi l'auteur de plusieurs autres films et té­léfilms, de courts métrages d'art remarqués en leur temps, de quelques romans dont l'un au moins eut maille à partir avec la censure, et, sous le pseudonyme de Belen, de recueils de nouvelles à l'écriture raffinée où l'érotisme et l'humour font bon ménage.


Denys-Louis COLAUX
Grandes machines et spéculations introspectives
autobiographie bouffonne
Labor
2003
153 p.

D'un être « mythique » on ne peut parler qu'en termes de mythologie personnelle : telle est la gageure de ce livre ; gageure tenue haut la main, tant l'écriture flam­boyante de Colaux se maintient de bout en bout au diapason de son héroïne et de sa grande santé libertaire. L'iconographie, lar­gement inédite, est superbe, ce qui fait regretter d'autant plus le tirage grisâtre des photographies.

Si tout portrait est aussi un autoportrait, toute autobiographie est aussi un masque, a fortiori lorsqu'elle s'avance sous les auspices de la « bouffonnerie ». De fait, le « je » qui se livre dans les Grandes machines et spécula­tions introspectives semble moins celui de l'auteur que de quelque double parodique outrageusement mégalomane chargé d'exor­ciser la soif de gloire qui sommeille en tout homme de lettres — oui, mais pas toujours, et c'est ce qui fait le sel équivoque de ce ca­nular devant lequel on songe, toutes choses égales d'ailleurs, au projet de Flaubert d'écrire un livre dont le lecteur mystifié douterait toujours si l'auteur est sérieux ou s'il se fout de lui — ou encore au Gotlib de la Rubrique-à-brac racontant l'éveil de sa Vocation en se portraiturant avec une ombre démesurée. En trente-deux courts chapitres qui sont à la vanité littéraire ce que les exercices de style sont à la rhéto­rique, le grand homme dresse son panégy­rique en se félicitant à chaque ligne de son génie, rédige sa notice et grave son épitaphe, sans omettre d'adresser d'obligeants conseils à ses hagiographes et de conclure par quelques suggestions pour la critique de l'ouvrage, qui parodient allègrement les manchettes des placards publicitaires, dans le genre « quel talent ! Dès les premières lignes on est emporté ! » C'est tantôt drôle et tantôt irritant (oui, je sais, c'est étudié pour et je n'ai rien compris).


Denys-Louis COLAUX
Je hais les poètes (vivants) !
suivi de Circus
Maelstrom
2003
152 p.

Drôle, lorsque Colaux détaille par le menu la « Journée d'un génie », au cours de laquelle notre Au­teur manifeste une productivité qui ferait passer Hugo pour un nain et un appétit à côté duquel Gargantua n'est qu'un ano­rexique, tout en troussant au passage la bonne et tout le petit personnel ; mais agaçant un tantinet, parce que l'insolence pro­clamée et la verve histrionique deviennent quelque peu, à la longue, victimes de leur facilité.

Des facilités, on en trouvera aussi dans Je hais les poètes (vivants) !, et l'on sera parfois tenté de donner raison à l'auteur qui af­firme : « Ce que j'apprécie dans mes pé­riodes de discrétion, c'est une grande éco­nomie d'inepties. » Mais on glanera aussi de réelles trouvailles dans cette petite encyclo­pédie portative où l'aphorisme railleur voi­sine le dialogue pataphysique, où le haïku rêveur côtoie le lexique amusant de locu­tions inédites.

En somme, lorsqu'elle ne se mesure pas, comme dans Nelly Kaplan, à un « grand objet extérieur » qui tout à la fois la stimule et la canalise, la verve de Denys-Louis Co­laux s'exerce parfois à vide de n'avoir d'autre objet qu'elle-même ; mais elle jette, au passage, de belles étincelles.

Christian Bréda