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Critiques de livres


Valérie NIMAL
La robe de mariée
éd. Le Fram
2004
97 p.

Avatars du poème

Le poème, depuis toujours, a sup­porté bien des règles et d'encore plus nombreuses formes qui ont cherché précisément à échapper à ces règles ; on en est quasiment arrivé à ce que chaque livre, voire fragments de re­cueil, en propose un nouvel avatar. Au pire, le genre serait devenu fourre-tout ; au mieux, il ouvre des horizons. En tout cas, il autorise bien des variantes comme on va le vérifier avec quatre livres ré­cents.

Valérie Nimal semble être une nouvelle venue en littérature et sa robe de mariée propose une suite de poèmes en prose comme autant de fragments de vie qui reconstituent une histoire ou forment un roman morcelé. En résumé, une jeune femme rencontre un jeune homme, ils s'aiment, décident de coha­biter puis de se marier et la vie va, vaille que vaille. Cela, c'est l'arrière-plan, la toile de fond car les fragments ne nous livrent que le point de vue d'Alice (la femme), historienne de l'art travaillant dans une galerie d'art, sur les détails de sa vie quotidienne et l'évolution de son amour avec, en point d'orgue, le ma­riage et cette robe de mariée qui, par sa valeur symbolique, devient une préoc­cupation majeure... Ne voulait-elle pas, étant enfant, faire « mariée » comme métier quand elle serait grande ?


Michel DELVILLE
Le troisième corps
éd. Le Fram
2004
76 p.

Le livre est touchant malgré les mala­dresses, je veux dire celles des émotions car côté écriture, on a oublié quelques remaniements (que font les éditeurs ?), mais il ne faut pas aborder ceci comme une histoire d'amour : c'est un solipsisme postmoderne — une époque à tendances superficielle et dépressive — qui s'écorche aux banalités et affermit les clichés. Alice connaît la recette de la mayonnaise mais elle met un voile sur ses miroirs et ses pensées ; l'idéal est toujours en retard, à moins qu'il ne passe qu'en rêve.

Nouveau venu en littérature, lui aussi, Michel Delville aborde le poème dans un tout autre registre, sous les auspices d'une pensée qui dit plus pour dire que pour dire quelque chose. Avec un tel pro­gramme annoncé d'entrée de jeu, on ne s'étonnera pas que le livre se développe suivant un certain débraillé qui rebon­dit au fil des dix parties (chacune pré­sentant une déclinaison différente de la forme, en prose ou vers libres) sur une vision du monde en son état actuel sa­chant que les règles de ce jeu furent com­posées il y a des milliers d'années. Dans ce mélange d'émotions et de réflexions, de revendications et de déréliction, Del­ville témoigne d'une bonne santé re­belle, mais il doute du bien-fondé de sa parole et il hésite encore entre une pen­sée sociale et des fins personnelles. Il sait les supercheries du langage, mais il ne peut empêcher un verbiage qui s'égare parfois (notamment dans ses considérations esthétiques) ou quelques notes péremptoires un peu vaines.


Nicolas ANCION
Le dortoir
éd. Le Fram
2004
62 p.

Evi­demment, si ce troisième corps, inspiré de Valéry, ne peut avoir d'unité que dans notre esprit, liberté est octroyée d'agir dans le monde de manière désunie — quitte à s'interroger ensuite sur la valeur des repères, ou leur absence. Claire­ment, Delville a une belle énergie mais sa voix est encore le reflet trouble d'une image incertaine de soi ou d'un rapport au monde confus et changeant. On peut ne pas être d'accord avec la posi­tion d'un poète mais il faut, pour faire sens, que le lecteur sache où le trouver. Et ni la volonté d'en découdre, ni la froide résignation ne sont faciles à envisager... Dans Le dortoir, on retrouve la verve et la fantaisie qui caractérisaient les pre­miers livres de Nicolas Ancion. C'est bien un dortoir — l'idée de dormir s'offre comme un refuge — dans un in­ternat improbable, tout en escaliers, couloirs et toujours des portes et puis des chambres partout, dans une école avec des dizaines de préaux et dont les salles de classe possèdent trois à quatre mille bancs dans chaque rangée. Parmi les occupants de cet établissement, il y a celui qui a construit une réplique de la Tour Eiffel en écureuils séchés, ceux qui s'occupent à poncer des araignées, à cro­cheter des couvertures en laines pour les dictionnaires, à étudier pour être prince héritier ou à dormir, non pas derrière, mais dans la porte.


Marc DUGARDIN
Fragments du jour
éd. Rougerie
2004
88 p.

Comme la piscine est minuscule, chaque élève est tour à tour chargé de la conserver dans son cartable mais avec interdiction d'y tremper ses tartines ! Et les plus drôles, ce sont les frères Tong qui réussissent des choses extraordinaires car leurs parents ont ou­blié de leur expliquer le mot impossible. Ancion règle sans doute au passage quelques comptes avec les aspects gro­tesques de l'enseignement mais les si­tuations farfelues rappellent que nous sommes dans un monde d'enfants qui découvrent, expérimentent, s'émerveil­lent et qu'il suffit de deux mots coulis­sant l'un sur l'autre pour que le sens bascule et que l'absurde acquière une présence qui déjoue le réel. Dans cet univers, la cruauté et la candeur se croi­sent sans heurt ; l'important est d'être drôle ou de se distraire car tous les éco­liers connaissent les brimades et la résignation. Ici, chaque texte en prose don­ne une histoire complète, une anecdote sur laquelle on ne reviendra plus ; ce n'est qu'une facette d'un ensemble aussi cohérent à lire que burlesque en son principe.

Marc Dugardin relève d'une tout autre trempe ; il est sobre, lent, posé, il a la lé­gèreté de ceux qui ne s'encombrent pas de scories et la gravité de pousser l'inter­rogation dans ses derniers retranche­ments, jusque-là où. Plus aucune réponse n'est rassurante, vivant d'un même effroi, d'une lente / hémorragie d'une seule bonté. Fragments du jour augmente d'un livre nouveau une œuvre qui sait où elle va et connaît la vitesse du chemin. Dugardin, comme chacun, éprouve le doute mais il sait que nous sommes bâtis de ressem­blances qu'il faut reconnaître (que le vi­sage / s'incline / vers la soif de l'autre / pour implorer / son reflet) et il ne se laisse pas abuser, surtout pas par la pureté. Il espère un homme qui se déploie en abyme d'un homme écrasé, ou que le re­lais prenne corps pour que la parole (re)naisse d'une défaillance de la parole. Il y a une foi et une dévotion, mais intérieures, et ce qui se donne (à lire) n'est pas la recherche d'une rédemption mais un désir de mettre au monde, avec tous les risques. Un monde équilibré de jours et de nuits d'une manière exemplaire pour l'homme qui doit tenter d'aboutir au partage. A ce projet immémorial, dans le dépouillement, le silence et l'écoute, le poème produit encore un murmure d'acquiescement quand la question / à jamais s'est perdue.

Jack Keguenne