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Critiques de livres


Pierre GUYAUT-GENON
Noir Corbeau, Ce Brabant au-dessus de tout soupçon
Quorum Police Fiction
1994
188 p.

Collection Quorum Police Fiction : C.Q.F...P.

Le Guyaut-Genon nouveau est arrivé. Et le monde selon (le commissaire) Goethals continue à faire « gargl » plutôt que « garp». Malgré les Quelques avis non autorisés qui constituent l'avant-propos et l'Auto-interview de l'auteur (à l'intention des lecteurs qui ne sont pas invités aux cock­tails de l'éditeur), destinés à brouiller les pistes sous une couche d'humour dévastateur, on en apprend un peu plus sur le jar­din secret de Guyaut-Genon-Goethals perçu derrière ses barbelés et ses miradors. Dans Noir corbeau, l'homme à la Nissan Prairie et à l'éducation judéo-freudienne a gardé sa tendresse en lame de rasoir. Mener une enquête et découvrir le « tirlipot-aux-roses », c'est toujours « louvoyer entre la raison du plus fort et celle du moins con (et réciproquement) ». Pas joli-joli, ce « Brabant au-dessus de tout soupçon » : gourou de l'U.C.L. (sic), dealers dorés, « croisés de l'Occident »... « On n'est plus au moyen âge ! » s'exclame un personnage. « Ça reste à prouver... » rétorque le commissaire Goe­thals. Obligé de choisir entre la misanthro­pie et le deuxième degré, le phénomène de la PJ. opte pour les deux en même temps. Ses inspecteurs, Laurent Falot (« enfant de Falot ») et Jef Lambert hibou podagre »), comme son principal Michel Gendebien (« Mike »), sont les premiers — mais pas les seuls — à faire les frais de son humour-réflexe constant. Tantôt pour décaper les grands sentiments de leur connerie (aurait dit Queneau), tantôt pour servir d'antidote aux pessimistes et à tout ceux qui ont « une mérule à la place du cœur», Philippe Goe­thals lance ses giclées de vitriol et d'acide.

Personne n'est épargné. L'une est « aussi sexy qu'une blague à tabac » ; un autre a un pull couleur « marée noire sur les plages bretonnes » ; un autre encore « se coiffe en enfonçant deux doigts dans une prise de courant » ; celui-là, enfin, a le look d'un « homme-sandwich vantant les mérites de la mononucléose »... Comme dans Rouge Novembre, l'intrigue sautille entre les situa­tions les plus sombres. Crédibles ? Plus que jamais. Et paradoxalement — mais l'est-ce tellement ? — l'humour de Goethals, dont le bon sens est rarement absent (« autant pisser dans un violon »), contribue à souli­gner les effets dramatiques. Peut-être aussi parce que la vison du quotidien selon Guyaut-Genon ne se conçoit pas sans de très humains plaisirs qui étayent la philoso­phie des post-soixante-huitards (que nous sommes). Une petite salade... une bonne sieste... une pincée de Brel... une fille au corps très « années septante » (et « l'airbag dans le slip »)... J'allais oublier : Eric Clapton et Led Zeppelin.

Fallait-il vraiment demander à Guyaut-Genon de préfacer les Défis impossibles d'André-Paul Duchateau ? (A-t-on jamais demandé à San Antonio d'introduire Gas­ton Leroux ?) Visiblement mal à l'aise, le père du commissaire commence par : « Très honnêtement, je n'aurais pas dû accepter », et termine par : « Et vous auriez de la peine à me croire »...

On jugera sur pièce les « Feuilletons qui tuent » (sic) parus dans Télé-Moustique. Seuls les néophytes du récit d'énigme poli­cière auront le droit de s'émerveiller du mort qui tue, de l'invisible qui tue, de l'arme qui (ne) tue (pas), etc. Cinq portes ouvertes défoncées qui ne bouleversent pas une thématique béante depuis l'après-guerre, et dans laquelle Stanislas-André Steeman fut, parmi nos contemporains, le maître original et incontesté. Il manque au fils spirituel l'humour dans la mise à dis­tance qui fait toute la différence entre les ébouriffants Désiré Marco et Moira Ton­nerre et les jeunots cleans et intellectuelle­ment agaçants de l'Eclair et de Soir-Presse. Sophie Darnel et Michel Rogier sont aussi BCBG aseptisé que deux demi-Ric Hochet et le Commissaire Marin répète à l'infini l'inconsistance bébête du commissaire Bourdon. Les novices reliront donc d'ur­gence les Trois énigmes dans l'intégrale de Steeman et — éventuellement — Ma 139e victime d'André-Paul Duchateau. Et on laissera aux (très) nostalgiques le plaisir de ressasser les clichés du Jury, d'abord, et de la défunte collection Défi ensuite. Perseverare diabolicum !

Danny Hesse

André-Paul DUCHATEAU, Défis impossibles, Les feuilletons qui tuent, Quorum Police Fiction, 1994, 141 p.