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Critiques de livres


Françoise LALANDE
Noir
éditions Ancrage
2000
238 p.

Fin et vie d'un amour passion

Anna est écrivaine, Vronsky composi­teur. Ils s'aiment, se déchirent de­puis treize ans. Un 3 juillet, date butoir qui revient obsessionnellement tout le long du roman, elle découvre qu'il lui ment, qu'il la trompe depuis quelques mois. Même s'il nie l'évidence. Là, commence l'inexorable processus de rupture. De deuil (pour elle). Avec ses hauts et ses bas. Ses fai­blesses, ses mesquineries. La vie quotidienne qui se désagrège et qu'il faut reconstruire, si on veut redevenir soi. Rien de plus banal comme histoire, rien de plus unique aussi. Anna décide de l'écrire. Parce qu'« un écri­vain peut traverser un enfer sans y succom­ber s'il songe à son écriture ». Elle appellera son livre Noir. Comme celui de Françoise Lalande, qu'on est occupé à lire. Plusieurs ressemblances s'affichent, du reste, entre l'auteure et la narratrice (qui tient son nom, comme Vronsky, des héros de Anna Karé­nine — par économie de récit : « Les as­pects cruels et irrépressibles de l'histoire d'Anna Karénine, vous les connaissez. Donc je ne parlerai pas des aspects cruels et irré­pressibles de mon histoire. Ici, je parlerai de tout le reste. ») ; mais aussi entre Vronsky et... — on ne dira pas qui, même si on cer­tain de ne pas se tromper. D'ailleurs, on a essayé de lever le masque de tout ce que Françoise Lalande s'est attelée à travestir, l'être humain qui sévit dans le lecteur est faible. Ouvrez la porte de la chambre un tant soit peu, et il fera l'impossible pour tout voir ! Pourtant l'auteure précise dans son avis au lecteur : « Les personnages, même la voix qui dit "je", sont des person­nages de fiction. » En écrivant cela, elle tente le diable. Trop ostensible sa remarque pour qu'on ne désobéisse pas. Mais peut-être que tout ce jeu de cache-montre est vo­lontaire, assumé, qu'il se veut une dernière ruade de l'écrivaine à l'amant qui l'a tant fait souffrir, qui l'a jetée dans la stupeur, amant qui a aussi joué de l'ambiguïté du­rant leur relation amoureuse. Quoi qu'il en soit, Noir, resté inédit pen­dant plus de dix ans, se lit avec intérêt. Il montre l'immontrable de la douleur amou­reuse, nomme les effets innommables de la passion en alternant des fragments relatifs à l'histoire passionnelle, avec d'autres qui sont une porte ouverte sur le monde exté­rieur. Ceux-ci peuvent être constitués d'une simple date (celle de la mort d'écrivains du vingtième siècle) ou raconter les abus sexuels commis sur de jeunes enfants, les délires d'un voisin dément ou encore évo­quer quelques scènes avec Arthur Trésor, le chat de l'écrivaine. L'obscurité, la perte, la douleur, la violence sévissent partout. Avec, du moins pour la passion amoureuse, un semblant de guérison au bout du tunnel. Anna recommence une histoire d'amour. Qui sauve et trompe les apparences : « Tu as rajeuni. Tu es redevenue douce, lui di­sent les gens qui la rencontrent (...). Rien de tout cela n'est vrai, mais quand on a tra­versé ce que je viens de traverser, on se montre plus sage devant le monde, plus in­dulgent envers les hommes. Je ne conteste donc pas les verdicts simples de ceux qui me veulent du bien. » Elle, c'est du mal qu'elle se veut. Elle replongera dans d'autres douleurs. Qui ne seront plus celles d'Anna Karénine mais celle d'une héroïne d'Emilie Brontë. Un autre beau roman en perspective ?

Michel Zumkir