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Critiques de livres


Issa Aït BELIZE
Nounja, à la folie...
Avin
Editions Luce Wilquin
2003
176 p.

Une enfance berbère

Dans son deuxième roman, Nounja, à la folie..., Issa Aït Belize décrit une enfance qu'on suppose proche de la sienne, dans une ville berbère du Maroc, en bord de Méditerranée. Intrigué par un fou qui sillonne les rues en dissimu­lant « un objet long (...) sous sa djellaba », le narrateur, un jeune garçon, décide de mener l'enquête : « Comment Lhadja était-il devenu fou ? Pouvait-on vraiment le taxer de la sorte ? Par où commencer ? Toutes ces inter­rogations germaient dans mon esprit... » Accompagné de son ami Omar, il suit donc Lhadja dans ses pérégrinations et découvre peu à peu quelle peine d'amour a pu le dé­tourner de la normalité. Pour le dire sans ambages, l'argument de Nounja, à la folie... est plutôt mince et aurait plus avantageuse­ment nourri une nouvelle qu'un roman de cent septante pages. Et si l'on a un peu de mal à croire à la brûlante curiosité des deux adolescents pour le passé de Lhadja, c'est aussi que l'écriture d'Issa Aït Belize, trop appliquée, presque scolaire parfois, n'y aide guère. L'intérêt de l'ouvrage résiderait da­vantage dans le contexte culturel, politique et religieux où l'histoire se joue et que l'au­teur évoque par petites touches. En effet, à la fin des années cinquante où se déroule le récit, l'Espagne a restitué le Rif méditerra­néen au Maroc récemment reconnu indé­pendant, mais son influence culturelle se fait encore ressentir, notamment par des ha­bitudes et des détails de la vie quotidienne. D'autre part, le nouvel Etat tente de s'unifier, ce qui implique de « marocaniser » ou d'« arabiser » les populations berbères. La complexité de la situation n'est pas assénée telle quelle par Belize, mais se décrypte au gré d'expressions choisies à dessein ou d'allusions glissées dans les dialogues. Ainsi tonne la mère : « J'exige que toutes les deux heures, tu te montres au moins une fois ici de­vant moi, sinon tes vacances, tu les passeras dans ta chambre à réviser ta grammaire arabe ! » Quant à la religion et ses interdits excessifs ou mal compris, l'écrivain les met souvent en scène avec humour, comme dans cette piquante dispute où un photo­graphe tente d'expliquer à une candidate au pèlerinage à La Mecque qu'une photo d'identité avec voile n'est pas admise par les autorités. La fin est étonnante où Omar et le narrateur se retrouvent, quarante ans plus tard. Et de regretter le temps passé, et de faire l'éloge des vieux parents morts, qui « n'étaient ni instruits ni rien de tout cela, mais quelle humanité, quelle tolérance, quels cœurs intelligents ! Combien de temps faudra-t-il à notre pays pour recréer des générations de ce genre ! (...) A l'époque des vieux, je n'exagère pas, une parole donnée valait bien plus qu'un chèque garanti... » Sans doute n'est-ce pas qu'un banal c'était mieux avant, mais le roman s'interrompt sans qu'on puisse le savoir.

Laurent Robert