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Critiques de livres


Nicole MALINCONI
Nous deux
Les Eperonniers
1993
126 p.

Trempe

« Le lave le linge de ma mère. »  Ainsi commence Nous deux, que Nicole Malinconi entreprend d'écrire à la mémoire de sa mère. Ce ne sera pas un récit de vie, ni même un por­trait à proprement parler, mais un regard animé autour de quelques gestes et de quelques paroles : un caractère.

 « Elle dit : Comme ça, je ne donnerai d'em­barras à personne.

Comment elle sourit et me regarde. Comment je le hais pour le sourire. Comment elle voit que je la hais et ajoute qu 'elle voudrait se trouver dans le fond du fleuve avec les poissons, à flotter au fond. Depuis si longtemps, si tu savais. Elle sourit toujours. »

Le narrateur organise d'abord ses souvenirs autour d'objets familiers : le linge, les che­veux, une perruque, des médicaments, un agenda, des cigarettes... Puis, l'enfant se souvient des moments et des lieux, où le père (« l'homme », elles disent) n'a rien à faire : dans les cimetières, dans la maison, au jardin, pendant la couture, et aussi, enfin, avec l'enfant elle-même, qui se raconte : « C'est une femme qui pour rien au monde ne quitterait l'enfant. Je veux dire pour un mo­ment, une heure. Elle prend l'enfant avec elle pour tout faire ; pour ouvrir la porte quand on frappe, pour se laver. Elle le prend sur ses genoux quand elle fait ses besoins. C'est son enfant qu 'elle a fait.

La nuit, elle vérifie sa respiration au moindre bruit. C'est un enfant inséparable. La maison est devenue un ventre. » Au bout du récit, on retrouve l'hôpital, les infirmières, le dernier lit. Une vieille femme malade se meurt. Mais l'accompagne dans la longue descente du fleuve le regard ému du lecteur, désormais profond d'une mémoire.

Les récits des descendants sur leurs parents, tous hommes illustres aux champs d'honneur, constituent actuellement une mode éditoriale bien lancée mais qui risque de finir par lasser. C'est toujours le même larmoiement retenu qui procède au récit. L'écriture, ici inspirée de Marguerite Duras, convient bien parce que son travail, assez apparent, semble tordre et comprimer la violence des sentiments ; ou bien, il permet de cacher sous la narration de détails souvent cruels le trop plein d'amour et piété filiale. Bref, la littérature vient à point pour établir une distanciation sans duperie qui rend tolérables les souffrances personnelles. A la fin du récit, Malinconi parvient toute­fois à dépasser cet effet de distanciation. Non bien sûr sur le mode de l'ironie, comme on a pu le lire avec délices dans Nous trois, d'Echenoz, mais sur le ton de qui se laisse rattraper par l'émotion. C'est alors qu'un « Tu » fait irruption : un tutoiement sincère et inattendu, d'autant plus in­tense qu'il ne s'adresse pas à la mère, mou­rante, mais au narrateur lui-même.

« Alors la fille abaisse les barreaux du lit ; elle pleure ; elle dit : Je ne veux pas que tu perdes la tête. Elle s'approche du visage de la mère. Le regard, soudain, la terreur du regard de la mère, blanche, dilatée, voyant ce qu 'elle seule voit, devant quoi tu n 'es qu'une étrangère. [...] Tu l'écoutes marmonner. Tu lui dis que tu voudrais tant comprendre ce qu'elle dit ; tu le lui répètes, tu voudrais tant. C'est la première fois qu 'elle parle et que tu ne comprends pas. »

 Nicole Malinconi a réussi à nous communi­quer un beau témoignage d'amour filial trempé, tel un métal incandescent, dans l'eau froide de l'écriture.

Sémir BADIR