pdl

Critiques de livres


Anne FRANÇOIS
Nu-tête
Albin Michel
1991
160 p.

La femme-roseau

Nu-tête, paru chez Albin Michel, vient de valoir à Anne François le Prix NCR, chose qui ne doit pas lui peser davantage que son couronnement au prix Rossel. Anne François joue les frêles, mais c'est pour mieux ne pas gaspiller cette étonnante volonté qui transforme les êtres éprouvés en vrais écrivains. Ecrire, dit-elle, comme on filme. Un film que nul ne verrait jamais sur grand écran, un film destiné à l'intime projection de la lecture. A quel cinéma joue-t-on ? Deux personnages, le médecin et la danseuse, s'apprivoisent en un long champ/contre-champ de cent quarante pages. Très "Nouvelle vague", ils ne se disent presque rien, le corps suffit d'abord à faire plier tous les langages. Ils racontent, chacun à leur tour, et sans désordre, les affres et désastres qui les impressionnent. Entre leurs récits intérieurs sinue. comme un souffle, le rapport médical. Ligne d'horizon, repère d'objectivité, l'écriture médicale joue les gardes-fous. Elle quantifie, modélise, calme enfin les deux voix intérieures toutes à la démesure qui les habite. L'une vacille de maladie, l'autre d'amour : Cécile ne sait rien, sinon ce nouveau quotidien auquel elle s'habitue peu à peu. "Vivre ne va plus de soi", dit-elle. Son thérapeute, par contre, a toujours une longueur d'avance sur elle : il sait qu'il l'aime déjà, et surtout qu'elle va l'aimer à son tour, il connaît parfaitement son corps, qu'elle n'a même pas offert. Contrairement au cinéma où la chair fait son apparition dans sa version consommée après trois quarts d'heure de suspense, ici. elle s'installe dès les premiers mots, souveraine déchue, meurtrie, forcée, perforée, visitée. Tandis que la danseuse "essaie de subir avec exactitude", le médecin, tel un Pygmalion d'hôpital, attend de la maladie qu'elle lui transforme "sa" danseuse de marbre en femme aimante. Place au cynisme, adieu "Harlequin". En être mesuré. Anne François a repris à son compte une certaine écriture clinique pour décrire les tumultes et variations qui submergent une personne atteinte de la maladie d'Hodgkin. une écriture modeste, économe, extrêmement resserrée. Une écriture qui donne à ce roman, où. nous avertit-on, "toute ressemblance avec des personnages, des situations ou des lieux réels ne serait que pure coïncidence", le goût d'une vérité distillée avec justesse et délicatesse à la fois. Anne François ne veut pas nous offusquer, simplement nous mener par la main sur un sentier unique, semé de douleurs et d'incertitudes.

Francesca MALTESE