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Critiques de livres

Adolphe Nysenholc
Bubelè, l'enfant à l'ombre
Paris
L'Harmattan
131 p.

Les ombres d'un enfant
par Joseph Duhamel
Le Carnet et les Instants n° 150

L'enfant à l'ombre, c'est l'enfant caché, celui que ses parents ont accepté de perdre pour lui donner une chance de vivre. Adolphe Nysenholc raconte ce que fut la guerre pour cet enfant dans une petite rue de Ganshoren (Bruxelles), recueilli par Tanke, sa mère de guerre, et Nunkel, l'ancien de 14-18. Tout l'amour et l'attention dont ils entourent l'enfant ne peuvent cependant rien contre la récurrence de cette question lancinante qui ouvre le livre : « C'est quand “demain” ? », le jour où, sûrement, peut-être, la mère et le père reviendront. Mais demain ne vient pas, même quand la guerre est finie et que certains resurgissent de l'enfer des camps d'extermination. La vie qui s'est lentement bâtie au sein de la famille bruxelloise va-t-elle être le futur du jeune Adolphe, futur que l'on pressent dans certains attachements stabilisants qui se créent déjà : le cinéma, et singulièrement Charlie Chaplin, la littérature et surtout la légende d'Ulenspiegel qui apparaît tellement comme la métaphore de sa propre situation, deux arts que lui fait découvrir Tanke.

Pourtant, ce futur va basculer : un oncle rescapé, qu'il ne connaît pas, veut réinsérer l'enfant dans la tradition juive qui n'a pourtant jamais vraiment été la sienne, ses parents étant plus révolutionnaires que juifs. Nouvel arrachement, qui se révèle cependant profitable : l'enfant est rendu à lui-même, à son passé, il entame la difficile quête de son identité et sa judéité.

Nysenholc qualifie son livre de « roman». De fait, il ne s'agit pas seulement du récit d'une enfance. Les événements rapportés sont insérés dans un réseau complexe d'images et de métaphores qui sont autant d'expressions différentes des paradoxes auxquels est confronté l'enfant. Ainsi, s'il a le sentiment qu'il lui est « interdit » de demander où sont ses parents –peut-être sont-ils enfermés parce qu'ils l'ont délaissé –, au moins veut-il savoir ce qui est advenu à Claes, père de Thyl. On comprend alors combien, pour ces enfants mis à l'ombre, enfermés dans un silence lourd de choses tues, la culture, les histoires et légendes sont des moyens essentiels de compréhension du monde. L'épisode biblique de Salomon n'est-il pas si terriblement à l'image de ce que vit l'enfant tiraillé entre deux mères ? Au-delà de l'histoire bouleversante de l'enfant caché, la force du livre de Nysenholc tient à ce pont sans cesse établi entre la réalité vécue et le fonds culturel et légendaire comme moyen de comprendre et d'espérer.