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Critiques de livres

Colette Nys-Mazure
Tu n'es pas seul
Paris
Albin Michel
2006
190 p.

Ombre portée
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 145

La solitude se présente de diverses manières, qu'elle soit choix volontaire ou contrainte sociale. Et chacun peut se vivre libre d'être unique ou perdu parmi ses semblables. En croisant ces différentes possibilités – lesquelles ne sont jamais des constantes valables pour toute la vie, mais des variables au gré de l'âge ou des circonstances –, Colette Nys-Mazure élabore une série de nouvelles qui montrent l'étendue de sa sensibilité et la qualité de sa compassion. Tantôt elle raconte le déroulement d'une histoire, tantôt elle laisse la parole à une voix intérieure qui médite sur sa condition, trouvant autant d'occasions de «retour sur soi dans l'intérêt porté à autrui».

Les histoires racontent la réaction d'une petite fille déçue de voir que son papa ne porte pas la cravate qu'elle lui a confectionnée; le petit mouvement de main d'une vieille dame qui, sur un quai de métro, empêche le geste fatal d'une jeune femme; le malaise de deux anciennes amies, désormais indifférentes l'une à l'autre, face à face lors d'un voyage en train… Mais aussi des cousins tout à leur joie de se retrouver au bord de la mer pour les vacances annuelles chez des grands-parents désormais trop âgés, et qui ne perçoivent pas qu'il n'y aura pas d'année prochaine, ou la tristesse d'une femme devant une maison où elle a aimé un homme parti sans rien dire; une veuve à qui ses enfants ne téléphonent même plus; la maladie qui rive au lit ou le grand âge qui échoue dans un home; la jeune mère débordée par les tâches domestiques et son mari épuisé par le travail… Autant de situations des plus quotidiennes, mais qui se vivent pourtant comme des ratés, des écarts aux rêves jusque-là entretenus. Dans un monde qui n'a pas le temps, chacun manque trop souvent – est-ce vraiment par distraction? – d'attention aux autres, aux fragilités, à moins que l'un ne se dévoue, au risque de se perdre lui-même, à tenter vainement d'aider l'amant, ou l'amie, qui préfère sombrer. Colette Nys-Mazure n'est pas dupe, elle sait qu'«on vit sous le même toit, les uns près des autres, sans se connaître ni partager le meilleur» et qu'il pourrait difficilement en aller autrement car les plaisirs, comme les douleurs, sont le plus souvent muets, secrets. Aussi ne fait-elle pas de grande théorie sur la manière de vivre, mais elle plaide pour une meilleure écoute de son prochain, pour une empathie plutôt que pour un respect, pour une présence baignée d'amour – amical, sensuel, spirituel – qui connaît alors le petit geste qui rassure, console ou émeut.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on sait que ce que Colette Nys-Mazure écrit sonne parfaitement juste. Mais il ne faut pas s'y tromper, si elle observe bien et raconte adroitement, elle transmet sur-tout des valeurs bourgeoises, religieuses et familiales qui sont autant de partis pris. J'ai appelé «nouvelles» des histoires qui tiennent plutôt de l'apologue dont la douceur rassurante n'est universelle qu'en apparence. Ce n'est pas une image exacte du monde que donne Colette Nys-Mazure, c'est seulement la vision très précise du sien.