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Critiques de livres


Achille CHAVEE
Œuvre 5 ( 1964 – 1969 )
les Amis d’Achille Chavée
83 rue A. Warocqué
7100 La Louvière
1994
288 p.

L'étalon d'Achille

Et comment donc qu'on l'attendait, ce fameux printemps ! Même qu'on se disait qu'à se faire tirer comme ça l'oreille, il devait nous préparer quelque chose de pas piqué des vers. Eh bien, c'est fait : Achille est revenu ! Vous savez, le vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne. Il est là, tout frin­gant, avec deux pleins volumes de poèmes à vous retaper le moral, et le reste. L'éternité aux seins volages a du bon, pour qui sait y téter. Chavée, lui, de son vivant, savait y faire : déjà, « au café du Bassin », il la tutoyait comme personne, l'éternité, en attendant les amis. Il en rapportait des dé­coctions pour tous les goûts. Par exemple, pour les moroses et les constipés : il est mer­veilleux d'être merveilleux (5 fois le matin) ou La santé est un mal nécessaire (avant chaque repas) ; pour les politiciens à vues courtes et gros portefeuilles : Le désordre est un cri désespéré de l'ordre (avant chaque séance) ou encore Trente deniers ou cent mille dollars, c'est chou vert et vert chou (5 fois en se lavant les mains) ; pour les fa­natiques de tout poil : Dieu est un rêve qui nous laisse rêveur ou Parmi les liaisons dange­reuses il convient de ranger la vertu (autant de fois que nécessaire) ; pour les cœurs in­continents : Grâce à Dieu, on n'aime que mille fois (après la 1re ou la 99e, c'est selon) ; etc.


Achille CHAVEE
Œuvre 6 ( 1974 – 1991 )
les Amis d’Achille Chavée
83 rue A. Warocqué
7100 La Louvière
1994
257 p.

En fait, il n'y a qu'à puiser. Petites fleurs de la métempsycose ou flèches qui font cible de tous bois (la bêtise omnipré­sente, l'autorité des « assis » rassis, le Dieu fouettard, la vie absurde, etc.), l'humour de Chavée, son sens de la dérision, sa candeur malicieuse font ici merveille et n'épargnent rien ni personne, pas même lui (Silence, Chavée, tu m'ennuies.). Le surréalisme n'explique pas tout. Là où même les grands pontes du mouvement vous tombent des mains au bout de quelques images cousues de fil bleu, Chavée vous retient, vous touche comme une main amie. Parce que c'est une sacrée nature avant tout, Chavée, pas un théoricien. L'homme est son terreau, l'homme tout nu, démasqué, grandeurs et petitesses com­prises, plus que les idées. De là qu'il se soit fait souvent l'avocat des causes perdues d'avance. Instinctif, fraternel et spontané : un écorché vif de la tendresse en somme, un éternel enfant perdu (...) dans le campa d'Albacete et qui « criait » ses poèmes sur une table d'infortune d'un des cafés de La Louvière. Qui les écrivait, comme il dit, en por­tant son innocence sur un grand champ de mines. D'où leur force explosive et la cha­leur humaine qu'ils dégagent. Hanté par la mort autour de lui qui rôdait, celui qui aurait tant voulu être simple comme un épi s'est cherché jusqu'au bout, avec les armes « de la colère de la révolte et de l'amour », une identité qui le réconciliât autour d'un verre de rouge avec « Christ Lénine Bouddha », ses compagnons d'insomnie. Ces deux derniers volumes bouclent l'œuvre poétique de Chavée. A nous d'en prendre la mesure, mais attention : l'étalon est hors norme, et fougueux. A titre d'exemple, pour finir en beauté, ce poème d'amour dédié à Simone, sa femme : « Je te dis merde ma chérie/ ma précieuse/ mon amour/ mon épouse/ mon éponge/ ma dulcinée/(...) Je te dis merde en vingt langues étrangères/ (...) Je te dis merde puisque ça me délivre/puisque contre toutes les apparences/ il m'en est advenu de t'aimer sans espoir/ du fond d'un gouffre noir/ loin des sentiers battus et des maigres devoirs ».

Je te dis merde à mon tour, Achille, et je t'embrasse.

Guy Goffette