Dans les jardins de Falaise
Sous les nuages
je suis un jardinier
trois fleurs
de haricot parfument
mes voyelles
et
le bleu grimpe
comme un potager.
La poésie d'Henri Falaise ressemble à une pluie printanière qui frappe à vos vitres. Elle vous attriste et vous ravit à la fois, flirte avec le soleil, vous sert du bleu mais en trompe-l'œil, s'habille du confort de votre propre enfance puis file brusquement sans même se trouver d'excuse. Moins de deux ans après son décès prématuré, comment ne pas se réjouir que soit rassemblée L’Œuvre poétique d'Henri Falaise. Deux forts volumes — 863 pages — édités par l'Arbre à Paroles, reprennent, à l'exception de Ouvrir le houx (1979) et du Chamelier des nuages (1988), les recueils publiés depuis 1974 ainsi qu'une centaine de pages d'inédits.
Henri Falaise occupe une place à part dans nos lettres, une place peu enviée : celle du poète malchanceux, né sous une « mauvaise étoile » et qui, malgré de solides amitiés, n'a finalement bénéficié que de peu de reconnaissance littéraire. Je me souviens l'avoir rencontré peu après la parution de son livre Les beaux miracles ; il m'avait donné l'impression d'un homme qui prend tardivement et prudemment goût à la vie. Pressé, débordant de sujets et de projets variés, il parlait plus volontiers au futur, comme s'il habitait déjà cette Saison de surcroît qui serait le titre d'un de ses derniers livres. Jean Tordeur, dans son amical portrait-préface au présent ouvrage, rappelle que Falaise — notre Verlaine, écrit-il —, s'il fut un visionnaire, était aussi un artisan méticuleux, en quête du poème qui soit juste. Et ce fragile ajusteur de mots, pour reprendre la jolie formule de Paul Neuhuys, n'a eu de cesse d'atteindre à la perfection d'une apparente simplicité. De la vie de Falaise, pseudonyme de Joseph Colard, né à Spa en 1948, nous ne savions rien ou presque ; la postface de cet ouvrage, riche en éléments biographiques, précise et émouvante, malheureusement anonyme, retrace une existence douloureuse placée sous le double signe de l'exigence poétique et de la souffrance physique et morale. Comme peu de poètes, Henri Falaise excelle à créer de petits univers finis, parfois narratifs, balisés de mots donnés en partage. Ainsi les trente-trois tableaux de cette femme, statue d'émotion pure, dont ont sait peu sinon qu'« elle a semé du lin vivace dans le Brabant pour toujours », en imposent-ils par leur sobriété et leur évidente magie. Et c'est encore la mère perdue à l'âge des secrets qui traverse les lumineuses élégies qui toutes débutent par le vers Quand ma mère dans un poème.
Il y a en Falaise un jardinier surpris par le gel doublé d'un prestidigitateur mélancolique dont le costume brillerait de paillettes et le visage de larmes. Poète du quotidien, il le fut sans doute, mais d'un quotidien anachronique, ponctué d'infimes enchantements recréés. Capable de surprendre aussi comme dans cet étonnant poème affiche : J'applaudis le bonheur /parce que c'est / une vache de chair / lourde / comme / le poêle à pipes /penché / qui vit / chez mon grand-père / et que cet homme familier /gardait le poids du lait. Il faudrait dire aussi la beauté limpide de certaines évocations : Le soir / on promène des enfants disparus ou encore // y a des mots marins / d'écume quotidienne / dits, pieds nus, / dans des cahiers en papier blanc, / près des marées / où je pèche a la ligne. Au fil des pages, en exergue ou en dédicace, on voit apparaître les noms de Yeats, de Pessoa, de Périer, de Bonnefoy, de Chavée et même de Marcel Piqueray, poètes à l'écriture et au cheminement très différents. Mais tous poètes humanistes, parmi lesquels Henri Falaise avec les thèmes qui lui sont chers — le ciel, les oiseaux, les saisons, dont le traitement elliptique exclut toute mièvrerie — prend naturellement la place qui lui revient.
Malgré le grand plaisir pris à cette lecture, je me pose quelques questions quant à la forme de ces deux volumes. Pour quelle raison l'éditeur a-t-il choisi de répartir entre les deux tomes le recueil essentiel Le Pays de Geneviève, en brisant sans égard — après seulement quatre poèmes ! — la longue série intitulée Le gel dénaturé ? Pourquoi aussi, pour de plus courts poèmes — deux à six vers — ne pas plutôt opter pour une présentation en continu ? Pourquoi, dans un projet de cette ampleur, faire l'économie d'une utile bibliographie, fût-elle succincte ? Pourquoi enfin l'éditeur a-t-il cru bon de paginer aussi les pages de titre et d'intertitre ?
Il est louable qu'une telle entreprise soit menée à terme pour la mise en valeur d'une œuvre importante et mal connue, mais la précipitation ne se justifie pas quand les poètes qui comptent et compteront laissent, quoi qu'il advienne, leurs empreintes dans la durée.
Karel Logist
Henri FALAISE, Œuvre poétique (en deux tomes), L'Arbre à Paroles, 2000