pdl

Critiques de livres

Joseph Orban
Les Gens disaient l'étable
Bruxelles
Le Grand Miroir
2007
92 p.

Apnée littéraire
par Michel Paquot
Le Carnet et les Instants n° 147

Tout est ici affaire d'écriture. Évidence? Pas sûr. Chez certains romanciers, il est avant tout question d'histoire. Une histoire bien racontée, ou non, bien écrite, ou moins bien. Chez d'autres, importe d'abord le style, générateur du récit. «Le récit d'une aventure ou l'aventure d'un récit», disait Ricardou à propos du Nouveau Roman. Joseph Orban a pris le parti des mots. C'est leur agencement qui forme le récit. Il est impossible de dissocier la forme du contenu. Ils sont un. C' est ce qui rend son roman, Les Gens disaient l'étable, unique et fascinant.

Qui est qui? Qui est ce «nous», la seule voix du livre, et au nom de qui parle-t- il ? On tente progressivement de se figurer le tableau. Une vieille masure isolée. Une pièce «puante et sale» où vivent des enfants. Le «nous» narrateur, une sœur aînée, «la plus faible d'entre nous», une petite sœur puînée, «la plus rapide d'entre nous», un petit frère, le plus choyé. Une «sentinelle», dont on ne saura rien. Et des animaux couchés avec eux à même la paille humide. Des animaux consolateurs, nourriciers. Tantôt les enfants jouent. Tantôt ils cessent leurs jeux, pour écouter. Tantôt, mais de plus en plus rarement, ils sortent la nuit dans la forêt, pour chasser. Tantôt, ils pleurent. «Nos pleurs se mêlaient à la crasse des murs et au sang de nos rides. Nous avions froid. Les vitres étaient brisées et les cyprès, les frênes et les chênes entraient, branche après branche, dans la pièce malodorante où personne jamais ne venait. Là où les gens disaient l'étable…»

Et puis il y a la mère. Enfin, l'idée de la mère car elle ne semble pas être avec eux. Une mère qui n'existe que parce qu'elle disait. Une enfance dans une grande maison sentant «la vanille, la lavande, les gâteaux tièdes et les cafés forts». Une enfance auprès de sa mère à elle, sans jamais cesser de peindre. «Notre mère disait avoir eu une enfance heureuse.» Et enfin, il y a le père. Qui a connu toutes les mers du monde, survécu aux pires tempêtes. Au regard capable de dompter les fauves les plus redoutables. Vivant seul et reclus dans un château «très étrange» qu'il ne quittait qu'une fois par an pour chasser les vertes vipères «qu'il tuait d'un simple coup de dents». Un père «mort sans jamais nous connaître».

Les Gens disaient l'étable est une magnifique mélopée poétique scandée de phrases revenant comme des leitmotive : «notre mère disait que», «on dit que notre père», «les animaux léchaient nos plaies»… Un chant venu du fond des âges que l'auteur ne cherche pas à expliquer – même si l'ultime chapitre dissipe quelques zones d'ombre. Une plongée en apnée dans la folie glaçante d'un être hors du monde qui se souvient que «jadis», ils vivaient tous dans un château, une «immense maison de bois, toute d'ébènes et de marbres azurés», «adossée à la grande serre de cristal bleu où dormaient les chevaux, les ours noirs et les clowns blancs». Un voyage littéraire rare qui nous remue au plus profond.