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Critiques de livres


Sous la direction d’Arnaud HUFTIER et André VERBRUGGHEN
Otrante. Art et littérature fantastiques
« Jean Ray/John Flanders — Croisement d'ombres»
n° 14
automne 2003
Editions Kimé
224 p.

Deux auteurs à relire

Deux revues françaises parues simul­tanément proposent des dossiers fouillés — coordonnés par Arnaud Huftier — sur deux écrivains belges que beaucoup de choses rapprochent : Jean Ray et Rosny aîné. Deux auteurs dont la place et le rôle dans la littérature belge et franco­phone sont en cours de réévaluation. Sous le titre « Jean Ray/John Flanders — Croisement d'ombres », Otrante propose les actes du colloque qui s'est tenu à Gand au printemps 1998. Un des axes de réflexion a consisté à suivre chez Jean Ray l'hésitation entre littéraire et paralittéraire, sensible à de nombreux niveaux de son œuvre : dans la multiplication des lieux et des formes d'édi­tion, dans le partage entre différents pseu­donymes, principalement la distribution Ray/Flanders, dans la pratique de genres divers, dans les références plus ou moins sa­vantes, entre autres à la mythologie. La vo­lonté de faire une œuvre littéraire au sens plein apparaît ainsi dans le retravail que l'auteur impose à plusieurs de ses livres. A partir de certains textes matrices (Aux li­sières des ténèbres, par exemple), des pans entiers de l'œuvre sont générés par des transformations successives : des écrits un peu négligés jusqu'à présent, comme Le bout de la rue, révèlent ainsi des dimensions nouvelles à cette « œuvre traversée par le dialogue du populaire et du savant ». D'autre part, le fantastique se pense au­jourd'hui en termes différents. Il n'était donc pas inutile de soumettre Jean Ray à cet éclairage nouveau, certaines lectures « savantes » de l'auteur gantois ayant sans doute aidé à penser ce renouveau théorique. Rosny, peut-être plus que Ray, est un auteur mal perçu et incomplètement compris (mal­gré le travail précédemment réalisé par Jean-Baptiste Baronian). Sa démarche est trop souvent réduite au roman préhistorique, La guerre du feu, ou à la science-fiction, La mort de la terre, rééditée dans des collections spé­cialisées. S'il n'est évidemment pas faux de considérer Rosny comme un des pères de la SF, il faut considérer globalement sa dé­marche littéraire ; elle s'inscrit au départ dans l'optique naturaliste, reprenant les spé­culations sur l'origine et l'évolution de l'hu­manité. La revue Lez Valenciennes propose de relire Rosny dans cette perspective. L'on découvre ainsi certaines constantes, trouvant des actualisations variées : la question de l'altérité, la figure de la rencontre, la notion de métissage. Cette dernière notion trouve un pendant formel fondamental, celui de la mixité des genres. Rosny en explore de va­riés (qu'il peine parfois à classifier, utilisant des dénominations étranges, comme « Téné­breuse affaire »), dont très intelligemment il déplace les codes, jouant avec les attentes du lecteur. On reste ainsi confondu devant la subtilité d'un livre comme L'étonnant voyage d'Hareton Ironcastle (malheureusement non disponible), bien à l'image de cette œuvre faussement simple.

Ce qui amène Rosny à jouer un jeu compli­qué avec l'institution littéraire, la SF fran­cophone de la première moitié du XXe siècle échouant à se constituer en un genre indé­pendant et demeurant « engluée dans la conception fallacieusement unitaire de la littérature, de la culture bourgeoise domi­nante ». D'où le fait que l'écrivain belge in­tégré au milieu littéraire français, et d'autres avec lui, se rabattent sur la périphérie géo­graphique et symbolique que représente la Belgique.

L'étude sur Rosny représente la majeure partie d'un dossier « La Belgique : un jeu de cartes ? », comprenant entre autres un inté­ressant article sur « Ce pays dont Brel a fait tout un plat ».

Rappelons que dans les deux cas il s'agit de revues et non de monographies, et que donc des différences de perception et de point de vue peuvent apparaître d'un article à l'autre.

Joseph Duhamel

 

Dossier établi par Ar­naud Huftier, Lez Valenciennes, « La Belgique : un jeu de cartes ? De Rosny aîné à Jacques Brel »,  n° 33, 2003, Presses Univer­sitaires de Valenciennes