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Critiques de livres

Jean-Pierre Otte
L'épopée amoureuse du papillon
Paris
Julliard
173 p.

Plaisirs ascensionnels
par Sophie Creuz
Le Carnet et les Instants n° 148

L'épopée amoureuse du papillon s'inscrit dans le cycle de l'Amour au naturel, après l'Amour au jardin, celui en eaux dormantes ou La sexualité d'un plateau de fruits de mer, et avant les amours de Sailor le chien, Jean-Pierre Otte se penche sur l'émoi du papillon. Comment resterait-il insensible «au coup de pinceau du peintre » comme l'écrit Claudel, aux ballets aériens de ces sphinx de la nuit ou du jour, lui qui n'exalte et n'exulte?

Plus entomologiste cette fois, que poète, Jean-Pierre Otte se penche sur le terrarium de son atelier – quand il n'écrit pas, il peint – pour suivre le lent cheminement de la chenille au mystère ailé, après «une vie de recluse dans sa cellule monacale» de chrysalide... Nabokov, on le sait, aimait lui aussi passionnément les papillons au point de donner son nom à l'un de ces spécimens, Maeterlinck ou Robert Goffin se faisaient volontiers éthologues; Jean-Pierre Otte n'y déroge pas. Plume et antennes en alerte, frétillant comme toujours dès lors qu'il s'agit de célébrer la vie, le filet à la main, il répertorie, décrit, raconte, explique. La beauté, l'éphémère n'ont plus de secret pour celui qui a célébré et les mythes fondateurs, et les tribus du vivant. Fasciné par l'instinct, la pulsion dirait-il, d'une nature en rut, Jean- Pierre Otte n'en finit pas de tenter de comprendre ce qui pousse les êtres à se perpétuer avant que de s'éteindre.

Ne sommes-nous pas pareils à ces insectes, animés par quelque force obscure à repousser de toutes nos pattes l'échéance ? Une vie ou un jour, hommes ou papillons répondent à l'inconscient, par le conscient, pour le meilleur ou pour le pire, et tentent de transmuer l'état larvaire des origines en un chef-d'œuvre achevé.

Moins philosophe que fin observateur, Jean-Pierre Otte met en sourdine son talent de conteur anthropomorphe pour se concentrer sur ce qui est – suffisamment beau en soi. Point n'est besoin d'imaginer, semble-t-il dire dans cet essai publié au rayon du roman, tant ce qui se donne à voir est saisissant.

Le lecteur chemine donc avec la chenille de feuille en feuille avec une avidité vorace, avant de chercher une alcôve où permettre la transformation, la renaissance, la transfiguration. Je ne sais quel apport scientifique cet ouvrage apporte par sa précision fouillée aux entomologistes patentés, mais la patience, le rythme chiffonné de l'écriture de Jean- Pierre Otte, l'oreille collée aux secrets de la nature, est une célébration de tous les instants. Rarement, l'auteur aura à ce point fait œuvre d'effacement, se faisant très discret, pour laisser toute la place aux beautés saisissantes de ces papillons. Il les imagine totalement dévolus au seul plaisir d'exister. Enivrés par le nectar des fleurs, la trompe barbouillée de pollen, le cœur chaviré par l'amour, ils se livrent à un dernier ballet aérien avant de pondre et de mourir. Tout le mystère de la condition du vivant tient dans ces pages où le frôlement de soie d'ailes chatoyantes répond au frémissement du désir, que Jean- Pierre Otte perçoit dès l'apparition du vivant.